Aborigènes et art contemporain
Le musée d’Aquitaine présente à travers 150 œuvres traditionnelles et contemporaines une approche de l’art aborigène.
La colonisation de l’Australie par les Anglais à partir de 1778 provoque un éclatement, au moins partiel, des 250 groupes aborigènes qui y vivent depuis plus de 40 000 ans. L’art rituel, au cœur de la vie religieuse et sociale, réussit néanmoins à survivre dans de nombreuses régions et constitue la base de nouvelles formes créatives comme réponse à l’invasion européenne. L’exposition Une histoire de l’art aborigène[*] montre comment les artistes ont su interpréter ces formes pour en faire des œuvres contemporaines de grande qualité.
Prise de conscience
En dehors de peintures rupestres, les œuvres aborigènes : peintures corporelles, dessins sur le sable, peintures végétales au sol, boomerangs, boucliers, propulseurs, gravures sur arbres... étaient éphémères, si bien que ne subsistent que peu de traces anciennes. Aussi, à partir des années 1970, de nombreux artistes adoptent la peinture acrylique sur toile et sur des objets pour réaliser des œuvres contemporaines durables. Ils utilisent la même technique de points, de lignes et des bandes colorées… que leurs lointains ancêtres. Ils s’inspirent des mêmes mythes, ces histoires traditionnelles racontées au sein des peuples aborigènes qui expliquent les paysages et justifient leur topographie. La symbolique est celle de leurs ancêtres, elle constitue bien souvent des cartographies mentales et physiques des territoires dont les hommes ne sont que les gardiens.
Jusqu'à la fin des années 1990, la plupart de ces œuvres sont anonymes, mêmes si les auteurs sont connus. En effet, dans leur culture la propriété n’existe pas, aussi n’est-il pas question de les signer. Néanmoins, quelques artistes ayant acquis une certaine notoriété le font quand ils sont conviés à exposer dans des galeries d’art contemporain.
Objets traditionnels
Le boomerang, utilisé aussi bien pour la chasse que pour la guerre, est un puissant symbole dans la culture aborigène. Moins typiques de cette culture, les boucliers expriment encore plus la perfection d'un travail artisanal confinant à l'art. Il s'agit à l'origine d'armes de défense servant à se protéger des traits envoyés par l'adversaire en les repoussant. Rodney Carter, aborigène impliqué dans la gestion du patrimoine culturel, a écrit à propos des boucliers : « Les lignes, les couleurs et les formes sculptées disent qui vous êtes et surtout d’où vous venez. »
De même, les propulseurs, destinés à augmenter la vitesse des lances, portent souvent des motifs géométriques ou abstraits évoquant des lieux et des itinéraires.
Les cercles concentriques représentent des lieux connus et fréquentés par les ancêtres : campements, points d’eau… mais se sont également des portes de passage entre la Terre et le Ciel. Les bandes colorées qui lient les cercles figurent le chemin à suivre. Le grand nombre de points multicolores, outre sa fonction esthétique, est là pour brouiller la lecture par les non initiés.
Émancipation
Parmi les œuvres exposées, une attire particulièrement l’attention. Il s’agit d’une peinture acrylique sur toile de Gordon Bennett, peintre né en 1955 d’un père irlandais et d’une mère aborigène. Cette toile met en scène l’artiste lié à une croix tête en bas symbolisant le peuple aborigène soumis à la domination implacable des hommes blancs, matérialisée par un policier agressif. Dans cette œuvre, Bennett rend hommage à Jean-Michel Basquiat (1960 -1988) dont il s’inspire. Ce rapprochement entre l’Australien et l’Américain n’est pas surprenant. En effet, le premier adhère complètement aux valeurs et à l'esthétique de l'art contemporain aborigène, fruit d’une réinterprétation de l’art traditionnel en réaction au colonialisme, le second, né d’une mère portoricaine et d’un père haïtien, montre souvent, à travers ses graffitis, la violence du monde occidental,
Dans ce tableau, les objets traditionnels, boomerangs, flèches, boucliers sont présents et sont le lien avec la culture traditionnelle. C’est un détail de cette œuvre qui constitue l’affiche de l’exposition.
Bennett fait partie de ces artistes aborigènes, soumis aux influences occidentales, qui réinterprètent la culture matérielle de leurs ancêtres et lui confère un sens nouveau.
Roger Peuron