Bordeaux, port morutier

La pêche vers 1930, puis en 1975

 

Pendant environ quatre siècles, Bordeaux a pris une grande part dans la pêche à la morue, à son traitement et à son commerce.

 

Parmi les participants à la Fête annuelle de la morue à Bègles, il est probable, et surtout parmi les plus jeunes, qu’ils soient nombreux à ne pas connaître son origine : elle a été créée en 1996, par Noël Mamère, alors maire de la commune et elle rappelle le rôle important qu’à joué Bègles dans le traitement de la morue et son commerce, tous deux associés à l’activité de la grande pêche du port de la Lune et en particulier pendant le XXe siècle.

 

Premiers terre-neuvas

À Bordeaux, le négoce de la morue remonte au XVIe siècle. Le port reçoit alors le fruit de la pêche réalisée le long des côtes de l’île canadienne de Terre-Neuve par des marins bretons, basques, rochelais… Cette pêche s’effectuait alors depuis un voilier, mouillé en eau calme : des doris, (chaloupes à fond plat), propulsés à la rame s’en éloignent, chacun armé par deux hommes qui pêchent à la ligne de fond. Les prises sont ramenées à Saint-Pierre et Miquelon où elles sont préparées, séchées puis expédiées vers Bordeaux où elles sont réceptionnées par les négociants du quartier de la Rousselle. Une partie est vendue localement, une autre est expédiée vers les villes en amont sur la Garonne et la Dordogne.

Durant siècles suivants, la pêche et le traitement des poissons vont évoluer. Les bateaux ne sont plus mouillés, mais dérivent au large des côtes en suivant les bancs de poissons qui sont pris par des lignes équipées de centaines d’hameçons, accrochées au bord du bateau ou aux doris. La quantité de poissons péchés est nettement plus importante. Les poissons sont préparés, salés et séchés à bord, ils sont conservés dans la cale jusqu’à la fin de la campagne ; ainsi traités ils sont nommés « morue verte ».

 

Des sécheries à Bègles

Puis, la consommation de la morue se développe en France et le commerce à partir de Bordeaux vers les Antilles et l’Afrique s’accroit régulièrement. La morue salée peut supporter de longs voyages même sous des températures élevées. Ce qui entraîne la création de sécheries à Bègles afin d’être en mesure de répondre aux besoins. En 1843, une première unité s’installe. Au début du XXe siècle on en compte vingt-six.

En 1870, 200 voiliers débarquent 60 000 tonnes de morue de Terre-Neuve à Bordeaux, devenu véritable port morutier.

Dans les années 1920, les voiliers sont remplacés par des chalutiers à vapeur. À cette époque la caputale girondine est le siège de toutes les transactions concernant les morues salées. Joseph Huret, armateur boulonnais, comprend que le marché est appelé à se développer, aussi s’installe-t-il à Bordeaux avec trois bateaux, récupérés à la fin de la Première Guerre mondiale, qu’il expédie à Terre-Neuve. Plusieurs autres armateurs vont faire le même choix.

 

La fin du salé

Après 1945, la reconstruction de la flotte de pêche, détruite pendant la guerre, s’oriente vers de gros chalutiers à moteur diesel ayant de deux à trois mois d’autonomie. Plus performants, ils sont moins nombreux pour des résultats comparables, aussi ne sont-ils plus qu’une trentaine en 1950 dont une dizaine ayant pour port d’attache Bordeaux. À la fin des années 1960, ils sont dotés de cales réfrigérées et de machines pour traiter le poisson.

Depuis le milieu des années 1950, les effets conjugués de la congélation des poissons, de la crise pétrolière de 1973, de l’instauration de quotas, de la limitation des zones canadiennes de pêche, entraînent le déclin de la morue salée. À Bordeaux trois armateurs disparaissent.

Dans le même temps l’Europe promeut la construction de chalutiers congélateurs, en remplacement des chalutiers saleurs.

Les sécheries de Bègles n’ont pas bénéficié de plan de reconversion, comme les armateurs. Aussi, ces derniers, ne trouvant pas à Bordeaux d’installations capables de traiter la morue congelée livrent leur pêche dans d’autres ports. Le nombre des sécheries de Bègles passe de 29 en 1968 à 14 en 1973. Aujourd’hui il ne reste que Sar’Océan qui a diversifié ses activités en proposant des plats cuisinés issus de la pêche durable.

Enfin, en 1992, le Canada interdit définitivement la pêche dans ses eaux territoriales, signant ainsi la fin de la longue histoire de Bordeaux port morutier. Reste, depuis 1996, la fête de la morue de Bègles pour s’en souvenir.

 

Note : les textes des encadrés sont extraits du catalogue de l’exposition L’aventure de la grande pêche, présentée par La Mémoire de Bordeaux Métropole du 10 au 22 septembre à Bordeaux.

Ce QR code permet de visualiser le film Ce bien commun, la morue, réalisation, montage et prises de vues par Sandie Fabre (La Mémoire de Bordeaux Métropole)

 

 

Encadré 1

Les sécheries de Bègles

C’est au XIXe siècle que les sécheries sont installées sur la commune de Bègles parce qu’il fallait transformer la morue verte, pour en prolonger la conservation. Le poisson salé arrivé à Bordeaux était transféré aux sécheurs béglais qui, à leur tour, le renvoyait aux négociants pour une distribution sur les marchés locaux et régionaux, mais aussi pour approvisionner les marchés du sud de l’Europe qui devenaient de gros consommateurs et les colonies d’alors.

L’abondance des terrains drainés de ruisseaux, leur prix modique, leur situation en bordure de fleuve et une main-d’œuvre paysanne locale facilitèrent la création des ateliers à Bègles dans le secteur délimité par la Garonne et les chemins du Petit et du Grand Port.

 

Encadré 2

Le Pardon des terre-neuvas

Jusqu’à la veille de la Seconde guerre mondiale, les navires morutiers étaient toujours obligés de séjourner sur rade et d'attendre plusieurs jours avant de pouvoir venir à quai.

À partir de 1949, Bordeaux utilise les bassins à flot comme véritable port morutier. Construits par les Allemands, en 1942, pour installer une base sous-marine, ils constituent un port en eau profonde […] d’une superficie de 100 000 m2 environ, qui accueille les chalutiers au départ ou au retour de leurs campagnes.

Le premier Pardon des terre-neuvas est organisé le 4 février 1951. Malgré le froid hivernal, une foule immense se presse dans les bassins à flot pour assister à cette cérémonie qui célèbre le courage des marins bretons et basques embarqués. Cette fête deviendra rapidement une tradition appréciée des Bordelais, jusqu’à sa disparition en 1958.

 

 

Encadré 3

Préparation de la morue à bord

 

Sur le bateau, le travail du poisson est millimétré. […}. Les piqueurs plantent le dos de la tête du poisson sur un pic et l’éventrent avec un couteau droit. La tripaille tombe dans une gouttière et les foies serviront à fabriquer de l’huile de foie de morue. Les décolleurs coupent les têtes et les trancheurs enlèvent l’arrête centrale à l’aide d’un couteau incurvé et tranchant comme un rasoir. Le sang sur les filets est gratté, ils sont lavés dans les bailles en fer et déposés dans des potes qu’ils traînent jusqu’à la cale où les attendent les saleurs. Étape essentielle, car des cargaisons se voient souvent refusées à l’arrivée si le poisson n’a pas été suffisamment salé.