Bulles de Bordeaux

 

Éric Corbeyran, un auteur de BD bordelais nous parle de sa façon de concevoir et de réaliser ses bandes dessinées.

par Bernard Diot

 

Quelque part dans le quartier des Chartrons, une porte de garage transformée en baie vitrée nous permet d’entrer dans le monde de l’auteur de BD Corbeyran : un vaste local plongé dans la pénombre. Sur un des côtés, une pièce est dédiée à la création avec des étagères remplies de ses ouvrages, en face, le mur est couvert de DVD d’où l’auteur tire une partie de son inspiration. Le reste de l’espace est occupé par un billard français. Canapés, chaises et tables complètent l’ensemble. Une revue des ouvrages disposés sur les étagères nous permet d’aborder l’alchimie de la création d’une BD.

 

L'Observatoire : Quelles sont vos sources d’inspiration ?

— Éric Corbeyran : Je suis un gros consommateur de films, de séries, de romans, de BD. Toutes ces sources s’amalgament et créent un sujet. Mon Tarzan est directement inspiré de l’ouvrage d'Edgar Rice Burroughs et prend le contre-pied des versions où Johnny Weissmuller jouait.

Cela peut être une rencontre avec un dessinateur et son univers qu’il voudrait exprimer, sans savoir comment le mettre en scène. Je suis son accoucheur en créant une histoire autour de son univers visuel.

Pour Les yeux doux, c’est l’observation du monde qui me fait dire que nous sommes de sacrés esclaves et prisonniers d’un système.

Dans le cas de Châteaux Bordeaux, c’est sur le conseil de mon éditeur, Jacques Glénat, que je me suis intéressé au monde de la viticulture.

 

— D’une façon générale, comment s’organise le projet ?

Il faut voir une série comme une copropriété à trois : le scénariste, le dessinateur et l’éditeur liés par contrat. Ce trinôme travaille à réaliser l’objectif.

Dans tout sujet abordé, il y a une partie technique qu’il faut absorber comme dans Châteaux Bordeaux Pour cette celle-ci, la démarche a été toute nouvelle pour moi. J’étais complètement étranger au monde du vin. Je suis allé à la rencontre des gens sur le terrain. Mon éditeur a organisé des rendez-vous avec la famille Cathiard (Smith Haut-Lafitte). J’ai rencontré leur directeur technique, Fabien Teitgen, et l’œnologue, Michel Rolland qui m’ont fait entrer dans ce monde. J’ai voulu également aller à la rencontre des maîtres de chai, des chefs de culture jusqu’aux courtiers et de tous ceux qui participent, de près ou de loin, à l’élevage du vin. Le but est de montrer les coulisses du vin mais en aucun cas cela doit prendre le pas sur l’histoire elle-même qui reste une saga familiale et un polar.

 

— Comment se distinguer dans le monde de la BD ?

Aujourd’hui, il y a 5 000 BD qui sortent par an. Ajoutons à cela que, de nos jours, il y a une profusion d’images. Pour réussir à marquer les esprits il faut accorder une importance au visuel tout en ayant un message à délivrer. Il n’est plus possible de se contenter d’avoir une bonne histoire à raconter mais il faut donner de l’importance à l’esthétisme pour pouvoir attirer l’œil du lecteur potentiel.

 

— Quelle est la méthode de travail avec le dessinateur ?

Sur chaque série, je travaille avec un dessinateur différent. Chacun d’eux porte en lui un univers différent, un style différent. Celui qui aime dessiner des choses réalistes sera en difficulté dans la science-fiction et inversement. Il faut donner à chacun ce qu’il a envie de dessiner, ainsi naît une collaboration qui peut durer des années.

Je rédige le scénario qui explique ce qui va se passer dans chaque page. C’est sous forme de texte que je décris les 600 images (cases) du récit. J’indique les personnages, les décors, les objets qui doivent être présent ainsi que les dialogues et pour chaque page, je les répartis dans des cases.

Le dessinateur reçoit l’ensemble. Il sait donc combien de cases doit comporter la planche et ce qu’il y a dans chaque case. Il incorpore les dialogues dans des bulles. Il a toute liberté pour les positionner. Ces planches sont en noir et blanc.

Il faut faire attention à ce que chaque information du script soit ultra limpide et comprise par les intervenants. J’ai travaillé avec un dessinateur non francophone. Dans une case j’avais utilisé le terme potence pour désigner un porte-perfusion. Cela m’a valu une belle surprise, après consultation de son dictionnaire, il a dessiné une corde de pendu.

 

— Et quel est le rôle du coloriste ?

La couleur c’est la première chose que voit le lecteur. C’est un travail qui se fait entre le dessinateur et le coloriste. Les couleurs peuvent évoluer au cours d’un ouvrage pour marquer un changement d’atmosphère ou une évolution de la situation. Elles aident le lecteur à ressentir l’ambiance du récit comme dans Les yeux doux. C’est un scénario qui passe plus par le dessin et la couleur que par le dialogue.

 

Encadré

Éric Corbeyran est né en 1964 à Marseille et vit à Bordeaux depuis 1987. Il fait ses premiers pas comme scénariste en signant le scénario de l'album Les Griffes du Marais (Vents d’Ouest), publié en 1990. Le succès arrive en 1997 avec Le Chant des Stryges (Delcourt), dessiné par Richard Guérineau, un récit dense, complexe et tentaculaire qui jette une lumière inquiétante sur les origines de l'humanité en même temps qu'il pose les bases du renouveau du thriller fantastique en bande dessinée.

Voyageur immobile, curieux de tout, avide d’images, de rencontres et d’expériences nouvelles, il s’intéresse à (presque) tous les sujets et s’attache à explorer (presque) tous les genres, du polar à la science-fiction en passant par l’aventure, le thriller et l’humour. Il a ainsi participé à l’écriture de scénarios pour les albums de Boule et Bill.

Il se définit lui-même comme un feuilletoniste. Sa série Châteaux Bordeaux comporte 12 albums et leur parution s’étale sur 10 ans ou 14/18 une série de 10 albums publiés sur cinq ans.