Coup de froid, humour

Des terres gelées du Groenland en passant par l’Alaska ou la Sibérie, l’être humain est capable de s’adapter et de vivre dans des conditions extrêmes.

 

Pour Geffroy Enland, le chemin était tracé dans une famille où règne une passion héréditaire et insolite pour le froid. Un aïeul est livreur de pains de glace, son père est frigoriste, le seul cirque de son enfance, c’est le cirque de Gavarnie. La Mer de glace le fascine, il se délecte des Holiday on ice et écume les patinoires. Frigoriste lui aussi, Geffroy brûle de découvrir ces terres polaires qui l’obsèdent. Il raconte son expérience.

 

Rompre la glace

« J’arrive à Koudensk, hameau inuit du Nunavut dans l’archipel Arctique, au nord du Canada. Amundsen et Nobile dont les posters ornent ma chambre, n’ont qu’à bien se tenir.

Le paysage est comme figé par le temps, le thermomètre affiche - 30° C. L’unique hôtel est géré par Congéla, elle est lapone, lapone à tout faire, plaisante-t-elle puisqu’elle est aussi femme de chambre… froide. Congéla s’empresse de me rassurer : “ Une chemise d’inuit, tricotée pingouin t’attend sur ton lit ”. À l’annonce de mon prénom, Geffroy, elle sourit : “ Si près de la banquise, c’est déjà une promesse ”. Ma lapone ajoute : “ Si tu cherches du travail, sache que le pôle emploie.” Les distractions ? “ Nous avions un cinéma, on y projetait des films d’épouvante classés grand frisson et puis, sans transition, on est passé de L’âge de glace à Certains l’aiment chaud, d’où une rupture de la chaîne du froid et la fermeture de l’établissement. Je précise qu’aucun eskimo n’a été sacrifié lors de ces redoutables entractes. Sinon à Koudensk, les ours se suivent et se ressemblent. Le dimanche, risque une pièce sur nos courses de traineaux. Sur la grille de départ, nos meilleurs huskies sont souvent en pôle position. Une visite aux phoques s’impose, tu pourras échanger en morse avec eux, mais notre maire, Frigo, t’en dira plus.”

 

Les potins de la banquise

Je me rends chez Frigo, sur le chemin, le blizzard souffle avec violence, blizzard, comme c’est blizzard ! Des bâtisses de glace, retentissent “ des igloo, igloo, il est des nôtres ! Il a bu son verre comme les autres ! ” Une expression familière me revient à l’esprit : “Ils ne sucent pas que des glaçons ! ” Frigo est simple et spontané, son discours n’est pas frileux, il sait garder la tête froide. Le maire se désole de la désertification d’un hameau sans foi ni loi, selon lui. “ Ainsi le père Angel, perclus d’engelures, n’a pas supporté les rigueurs de Koudensk. On l’a descendu de chaire, tremblant, hérissé de chair de poule, calotte devenue glaciaire, son étole ondulait, il semblait sortir d’un rayon Picard. La loi ? Notre shérif, Jack, loin d’être un manchot, n’avait pas froid aux yeux, il nous a quittés, les membres raides comme la justice, son étoile de shérif transformée en étoile polaire. Depuis, nous utilisons les services d’Inter Pôles. On n’a plus revu le dentiste qui n’exerçait plus, tant ses patients claquaient des dents. Nous éditions un journal satirique Les potins de la banquise, ses révélations ont divisé la population, j’ai dû annuler la Fête des voisins, tant ils se battaient froid. La banque a fermé, les crédits étaient gelés. Notre médecin soigne encore quelques crises de hoquet sur glace. Vois-tu Geffroy Enland, la seule bonne nouvelle, c’est l’ouverture prochaine d’un Grand frais, certains en font des gorges chaudes, un exploit par - 30° C, tout le reste me laisse de glace. “ Ces confidences jettent un froid, mais je me lie d’amitié avec Congéla et Frigo et comme l'Inuit porte conseil, l’Alaska et la Sibérie attendront, je n’en fais pas un iceberg.

Mais je dois regagner la France, le jour de mon départ, des centaines d’Inuits scandent “ Geffroy, Geffroy, Geffroy ” comme un hymne à la glace et au froid, j’en frissonne encore.

J’ai retrouvé mes congélateurs avec une silhouette enrobée, car les rôtis d’élan à la graisse de phoque ont eu raison de ma ligne, on me surnomme le gros Enland.

Amis Inuits, pour aimer ainsi ce hameau dans sa rigueur extrême, sans doute faut-il être un peu givré !

Mais voici que je fonds comme une banquise et que soudain j’ai froid. »

 

Claude Mazhoud