Des lions aux chichis
Chronique d'une famille foraine
Une ville tranquille du centre Médoc abrite depuis des décennies des familles de forains, mêlés intimement à la vie de la cité. L’observatoire a abordé leur histoire avec un de leur membre.
Les origines
La famille Michelet vient du centre de la France (Gièvres/Romorantin). Aussi loin que peut remonter la mémoire collective et les quelques documents conservés malgré l’itinérance, nous nous retrouvons à la fin du XIXe siècle dans la région de Gièvres avec l’arrière-grand-père dans un cirque circassien où il possède une ménagerie.
Au tournant du XXe siècle son fils, lui, sera dresseur de lions. Il possédera jusqu’à huit bêtes présentes simultanément dans la cage. À ce sujet, notre interlocuteur évoque son grand-père qui mange entre six à sept poches de bonbons par jour pour que l’odeur du bonbon couvre l’odeur de la chair poussant ainsi le lion à lécher le visage sucré plutôt que de le dévorer.
Un mariage, une nouvelle vie
Il exercera cet art jusque dans les années 1930, année où il se marie. Son épouse est issue d’une famille de saltimbanques musiciens de Dijon. Le mariage le conduit à se réorienter et il achète un stand de tir de ballon. Pendant la guerre, sa famille se déplace vers le Sud-ouest et s’installe dans la banlieue bordelaise. Il troque son stand pour deux manèges d’avions enfantins. Il se déplace alors dans toute l’Aquitaine (jusqu’à Saint-Gaudens) et peu à peu le père de notre interlocuteur prend les rênes de l’entreprise familiale.
Dans les années 1960, nouvelle évolution et achat d’une chenille. Il nous parle de ces manèges qui sont pour l’essentiel en bois et dont le montage demande plusieurs jours de travail ainsi qu’une main d’œuvre importante. Dans les années 1980, la main-d’œuvre de plus en plus difficile à trouver, les conditions de sécurité de plus en plus drastiques et la pénibilité de ce métier le conduisent à vendre cette attraction et à acheter deux stands de peluches (il faudrait utiliser le terme « boutique », propre à la profession).
Le chichi s’invite
Notre interlocuteur poursuivra cette activité jusqu’en 1998, date de son mariage. Il entre dans une famille qui est spécialisée dans la confiserie, ce qui lui donne une nouvelle orientation professionnelle. Adieu peluches, bonjour chichis, mascottes, gaufres et crêpes.
Toutes les préparations sont faites maison. Il raconte comment, Germaine, la grand-mère de sa femme a acquis la recette des mascottes (beignets fourrés au Nutella ou à la confiture) auprès d’une foraine de Blaye, comment ses beaux-parents ont réussi à copier la recette des chichis à force d’observation et d’essais en Espagne.
La conversation glisse sur le regard que portent les gens sur cette profession. Un peu désabusé, il parle de leur méconnaissance du travail que peut engendrer la tenue et l’entretien de ce matériel. Il parle de ses longs déplacements dans tout le Sud-ouest, ses démêlés avec les mairies pour les emplacements des fêtes, ses difficultés pour obtenir un branchement électrique. Oui, il paie l’électricité.
En parlant des foires, il me précise que chaque famille a un territoire bien défini et une liste de fêtes où ils peuvent s’installer. Il me montre une liste qu’un collègue lui propose d’acquérir, en effet jamais un forain ne s’installera à la place d’un autre sans son autorisation sous peine de rétorsions…
Son jeune fils vient nous trouver pour faire le point sur les réparations en cours. Il vient de souder pour la première fois, chaperonné par son grand-père. Il rénove une « boutique » pour créer un commerce de glacier. C’est ainsi que la famille a prospéré tout le long de la côte Aquitaine avec des magasins en dur pour la saison d’été et avec des boutiques pour les foires d’hiver.
La prochaine fois que vous achèterez un chichi, pensez que celui-ci est le fruit d’une longue histoire de travail et de savoir-faire.
Bernard Diot