Humour Au fil de l'épée

Un amour né dans une salle d’armes parisienne met en lumière un proverbe géorgien « Les amoureux peuvent se tenir sur la tranche d’une lame. » C’est l’histoire d’Antonio et de Lucie.

 

Fin bretteur, Antonio est un descendant du célèbre coutelier Opinel. Un soir, il va croiser le fer avec Lucie, enfant de Laguiole, petit village aveyronnais où le couteau est roi. Lucie a une botte secrète, sa beauté, Antonio est conquis. Entre deux assauts de fleuret, ils se content fleurette, c’est une lame de fond, rien ne l’arrêtera.

 

Sabre au clair

Leur passion commune, l’escrime, leurs origines coutelières se reflètent jusque dans leur apparence physique. Chez Antonio, le visage, particulièrement affuté, est en lame de couteau, le ton est tranchant, la réplique acérée. Le Landais de Sabres a même troqué un accent à couper au couteau pour un accent… pointu. Lucie, dressée sur des talons aiguille, a l’esprit aussi vif qu’une rapière. Elle doit peut-être à son écrivain favori, Frédéric Dard, sa troublante taille de guêpe, en tout cas, elle ne veut plus vivre San Antonio. C’est en sabrant le champagne sur un pavé d’espadon qu’il lui offre une superbe dague de fiançailles. Et c’est sabre au clair que la fine lame demande la jeune fille en mariage. L’amour a frappé d’estoc et de taille, bientôt nos tourtereaux vont baigner dans un univers plutôt singulier. Un garçon, Excalibur, comme l’épée du roi Arthur, puis une fille, Joyeuse, comme l’épée de Charlemagne, viennent combler les escrimeurs. Plus modestement, leur fidèle fox-terrier est affublé du nom de Durandal. Une frénésie des films de cape et d’épée les dirige tout droit vers l’Intermarché pour faire plaisir aux Mousquetaires.

Mais Antonio veut étendre sa passion pour l’escrime à des horizons plus lointains. Exploitant ce sport comme technique de pointe, ils vont ouvrir des salles d’armes et présenter leur collection… au Congo.

 

À couteaux tirés

Car c’est à Pointe-Noire, au Congo, qu’ils inaugurent, en grande pompe, deux immenses salles d’armes et un impressionnant musée où épées, sabres, fleurets côtoient couteaux, poignards, lances, sagaies, haches ou baïonnettes. Pour l’occasion ils ont même ressuscité le criss malais. Ironie du sort, tout près, se trouve la librairie Hachette et il tombe des hallebardes. Très vite, Lucie et Antonio vont faire de Pointe-Noire la capitale de l’arme blanche et on surnomme bientôt le lieu La baie de l’épée. Qui a dit « l’escrime ne paie pas » ? Leurs affaires sont florissantes tant les avaleurs de sabre sont des clients assidus. Ils aimeraient pourtant que les yatagans entrent dans les boites à gant et que les cimeterres ne mènent pas au cimetière. Nos bretteurs s’escriment à enrichir le musée, leur devise étant « Ici, ce n’est pas le sabre et le roupillon ». Mais les Congolaises sont jolies et Antonio multiplie les coups de canif dans le contrat. Lucie ne supporte plus ce coup de Jarnac. Désormais, une épée de Damoclès pèse sur le couple en crise aigüe. Les tentatives de retour en grâce d’Antonio s’avèrent des coups d’épée dans l’eau et il se refuse à devenir un second couteau. Même le fleuret moucheté n’opère plus, Lucie et Antonio sont à couteaux tirés. Malgré la tension, le glaive de la justice n’aura pas à fonctionner à Pointe-Noire car Lucie a quitté le Congo pour Laguiole avec leurs deux enfants. Pour Antonio c’est l’estocade, la mort dans lame, il rejoint Sabres.

Le Landais retrouve avec émotion la salle parisienne où ils se sont connus. C’est incontournable, le spadassin revient toujours sur les lieux de l’escrime.

 

 

Claude Mazhoud