Histoire de lard-Humour

Il vivait exclusivement pour son métier, il livre désormais un combat sans merci contre ce qui fut sa raison d'être.

Cette grande librairie paraît exigüe tant la foule s’y presse. Paul Fricandeau, boucher-charcutier de renom, étonnamment reconverti en militant de la cause animale, présente son livre qui connaît un franc succès. Il se confie à ses lecteurs.

 

Tiens voilà du boudin

« Les Fricandeau tenaient une importante boucherie-charcuterie à Poissy. Entre deux chapelets de saucisses, Adèle ma mère, très pieuse et pudibonde à l’extrême, interdisait à Pierre, mon père, de prononcer « un morceau dans la culotte » devant la gent féminine. Elle rêvait de faire de son rejeton un dévot élevé sous la mère. Pierre s’était hissé à la force du jarret et avait une passion sans borne pour le boudin. Il s’était engagé dans la Légion, fasciné par son hymne Tiens voilà du boudin. Il en fit son Chant des artisans et baptisa ainsi son commerce.

Adolescent, mes goûts étaient éclectiques, fan du groupe Abats et d’opérettes avec Marcel Merguez, j’étais un grand admirateur des toiles de Francis Bacon. Féru de civilisation à steaks, j’en ai gardé une voix hachée. Doué pour le cyclisme, j’ai gagné, d’un boyau, le Grand prix de la triperie à Caen. Mon père m’orienta vers des stages à Vire, Caen, Bayonne, Bazas, York, Francfort, hauts lieux stratégiques de la profession. Des séjours chez ma tante Henriette du Mans complétèrent ma formation. Dans la boutique, Adèle me reprochait souvent de faire l’andouille et de tailler la bavette avec les clientes.

Je dus mes premiers émois amoureux à la belle Osseline Renaud, elle fut l’étoile des neiges d’une cabane au Canada. Lors de vacances à Saint-Jean-Pied-de-porc, mon cœur s’embrasa pour un jeune tendron, Rosette de Lyon. Cette très jolie fille s’abandonna dans mes bras dans un grenier médocain.

Elle est devenue Rosette Fricandeau. Pierre disparut à son tour, elle est morte Adèle. Notre vie allait basculer.

 

D’une Rosette à l’autre

Très vite nos caractères se heurtèrent, elle, romantique et moi, pragmatique. Mais pourquoi évoquait-elle le Grand lac salé quand je préparais un petit salé ? Rosette rêvait du Colorado quand j’aillais mon gigot. Je peaufinais ma carbonade quand elle susurrait Cyclades. Me rappelait-elle nos serments que, placide, j’attisais mes sarments. Et quand elle murmura Santiago, j’élaborai un succulent chili con carne. Notre couple tournait en eau de boudin, le soir, exit les fricassées de museau, ma tête sur son sein doux, le tournedos était de rigueur. Aloyaux sentiments, basse côte matrimoniale. Et Rosette m’a trompé avec Chipo Lata, un gitan, végétarien de surcroit. J’étais pris pour jambon par un salami ! C’est vrai, je prenais du lard, saucissonné dans des effets trop étroits, c’est vrai, mes doigts étaient boudinés, à croire que le pâté encroûte. Où était-il le temps où nous n’avions paleron et vivions dans les chambres froides de gîtes à la noix ?

Et puis nous n’avons pas eu d’enfants, des Fricandeau sans lardons, c’est inconcevable. Ce fut la rupture.

Conscient que le viandard végétait, je pris en horreur ce cadre où le sang, la graisse éclaboussaient ma vie. J’ai fermé le commerce et pris mon bâton de berger pour intégrer les milieux végétariens et adopter leur mode alimentaire. Je deviens alors le mécène des groupements anti-viande avant de prendre la tête de la Fédération végane. C’est cette histoire que relate mon livre Tiens voilà du boudin. »

Oui c’est bien celui qui parrainait, il y a peu, les championnats de France de barbecue. Lui qu’on surnomme aujourd’hui le général Végan, pourfendeur des abattoirs et des boucheries. Paul Fricandeau doit prochainement recevoir la Légion d’honneur, il redoute cet instant entre tous, la prestigieuse distinction ne comporte-t-elle pas son inévitable… rosette ?

 

 

Claude Mazhoud