Humour- La belle jardinière
Une belle plante, passionnée par son métier, mise à l’honneur.
Merville est en fête pour célébrer son héroïne, Linda Brocoli, une maraîchère dont l’amour pour son métier touche à la passion exclusive. La commission européenne lui a décerné le prix de la Main Verte, le titre le plus prestigieux de la profession.
Sylvain Parmentier, maire facétieux de la commune et ami d’enfance de Linda va lui remettre le trophée. Son allocution, directe et pittoresque vaut le détour.
Une jolie binette
« Linda, comme tous mes copains, l’élève des Beaux-Arts que j’étais fut frappé par ta beauté, comme celle de la madone de Raphaël, pas le chanteur, le peintre. C’était le tableau La Belle jardinière, le surnom t’est resté. Car tu étais, tu es toujours une belle plante que bien des prétendants voulaient cueillir. Pour ta jolie binette, des râteaux ils en prirent à la pelle et firent chou blanc. Pourtant, pour une amoureuse de la terre, tu n’étais pas bêcheuse et n’avais pas le melon. Et puis, tu rencontras Pierrot, c’était la bonne pioche, un être attentionné, il te soigna aux petits oignons, et sut mettre du piment dans ta vie. J’en eus gros sur la patate car pour moi les carottes étaient cuites. Tu démarras dans le métier sans un radis, fauchée comme les blés, l’oseille ne t’obsédait pas, malgré tout tu ne travaillais pas pour des prunes et mettre du beurre dans les épinards n’était pas négligeable. Mais jamais tu ne participas à la course à l’échalote. De l’autorité, il t’en fallut et tu en usas, en témoigne cette grande asperge que tu surpris au travail, rond comme une citrouille. Il est vrai qu’il n’avait qu’un pois chiche dans la tête, mais il fut bon comme la romaine. »
Au cœur des plates-bandes
« Ton amour pour la pomme de terre demeure légendaire et ce n’est pas un Parmentier qui te le reprochera, tu la cultivais même en robe de chambre. Tu as fait de cette ville la capitale de la patate, tu as baptisé tes deux filles Charlotte et Agatha, en hommage aux variétés du précieux tubercule. Je revois encore ces bouts de chou, hautes comme trois pommes, aujourd’hui de très belles femmes. Et si on parlait de culture ? J’ai cru longtemps que ton attachement à Agatha Christie était dû à son prénom, en fait ce sont les travaux d’Hercule… Poirot que tu appréciais. Au théâtre, toujours côté jardin même si le poulailler ne t’offusquait pas. Je t’ai surprise pourtant à bayer aux corneilles lors d’une cérémonie des Molières. Le cinéma ? Tu as dû ingurgiter quelques navets, mais dans ton vocabulaire “maraîcher” tu considérais comme un chef-d’œuvre La belle et la blette de Cocteau, la révélation de Jean Dujardin te ravit. Combien de fois dus-je te reprendre quand tu évoquais Scarole Bouquet, quand tu rêvais du Festival de Cannes pour descendre au Palm Bintje, toujours la patate ! Et quand tu t’enflammais pour Reynaldo Hahn, c’est parce qu’il est l’auteur de Ciboulette. La politique t’agace beaucoup, selon toi les députés ne racontent que des salades, alors d’où vient cet intérêt soudain à la nomination d’Édith Cresson ? Quand Pierrot disparut, tu en pris plein la poire, on a bien cru que c’était la fin des haricots, mais tu te refis la cerise et le jour où tu te fendis la pêche à nouveau, j’ai clamé autour de moi “Prenez-en de la graine”. Je reconnais que tu nous as parfois inquiétés par le caractère obsessionnel lié à ton métier. N’utiliser que Persil comme lessive ou fréquenter les basiliques pour y trouver la menthe religieuse. Linda, ne rougis pas comme une tomate sous les assauts de compliments ! Dès demain, les feuilles de chou vont te consacrer leurs articles, de grosses légumes vont te contacter, rassure-toi, là où tu iras, tes potes iront. Plus sérieux, Linda évite d’appuyer trop fort sur le champignon, on peut très vite manger les pissenlits par la racine, et, dans ton langage maraîcher, avoir un cerfeuil assuré.
Aucune main au monde ne peut être aussi verte que la tienne, c’est donc avec plaisir que je te remets ce trophée et te dédie ce texte, comme une lettre compost.
Belle jardinière, ne faisons pas poireauter la foule, tous à l’apéro ! »
Tout à coup, je me demande si je ne suis pas en train de jouer avec les mots, et si les mots étaient faits pour ça ?
Claude Mazhoud