La Diva de Rangoun
Phyu Phyu Kyaw Thein est la chanteuse de rock la plus célèbre de Birmanie, un pays longtemps fermé au reste du monde.
De notre correspondante.
Rangoun, 1er décembre 2011. 19 heures. La chaude nuit tropicale est déjà tombée depuis une heure. Les larges avenues laissent lentement écouler le flot des véhicules. Sur les trottoirs défoncés, s’agitent les ombres des passants. La circulation est plus dense que d’habitude. Hillary Clinton vient d’arriver à l’aéroport, première visite officielle d’un représentant des États-Unis depuis cinquante ans. Le long des murs de la pagode Kaba Aye, sur plusieurs kilomètres, des milliers de pèlerins font la queue, debout depuis des heures. Ils viennent se recueillir devant la dent sacrée du Bouddha, une insigne relique prêtée par le gouvernement chinois pour le 2 600e anniversaire de la Révélation. Près du lac Inya, un des deux grands lacs de Rangoun, le parking de l’Inya Lake Hotel déborde de voitures. Des autobus délabrés déversent de joyeuses bandes de jeunes et des familles qui viennent assister au L’Oréal Music Festival.
L’Oréal Music Festival
La célèbre marque de cosmétiques organise le concert. Entrée gratuite pour les coupons gagnants. Ils sont nombreux ! Il suffit d’acheter un produit L’Oréal ou de découper un bon dans la presse pour être tiré au sort. L’hôtel a loué ses terrasses et la grande pelouse qui descend vers le lac.
Sur les stands L’Oréal, Garnier, Maybelline : distribution d’échantillons et concours de maquillage. Les haut-parleurs crachent le nom des vainqueurs. Le public rit. Ici, pas de longyi* mais minijupes et bermudas. Les filles ont les cheveux teints effilés tombant librement sur les épaules. Quant aux garçons, coiffure en brosse et gel de rigueur, crête brillante pour les plus audacieux. Partout des téléphones portables.
Près du lac, est installée la vaste estrade avec ses portiques de spots et son grand écran. Des techniciens règlent les baffles. « Il n’y a personne de l’ambassade ? » s’étonne Adrien, un jeune Français qui travaille chez Total. Le spectacle commence : en première partie, les petits nouveaux, puis la qualité monte. Chan Chan occupe la scène. Elle sort sous les applaudissements. Soudain, une onde parcourt la foule qui s’agglutine près de l’estrade. Phyu Phyu va chanter.
La star du rock birman
La petite silhouette de l’artiste bondit sur scène. Une boule d’énergie ! Sa combinaison de dentelles à fleurs brunes souligne ses formes potelées. Elle tend le bras droit et serre le micro sur son cœur. Sa voix s’élève, puissante, caressante, violente... Comme l’océan des blés parcouru par le vent, les spectateurs oscillent sous son souffle. Ils frémissent, baissent la tête, courbent les bras puis hurlent en balançant les mains. Cher public, Phyu Phyu te tend le micro. Plus fort ! Plus doux ! Elle sourit à ses adorateurs. Elle ouvre la main. Le chœur s’apaise et se tait. La voix de la chanteuse monte, perçant l’empyrée de sa pureté cristalline, puis s’abaisse sans trembler. Comme elle est douce et chaude ! Une mère berçant son enfant a-t-elle autant de tendresse ? Rha ! Rha ! Phyu Phyu martèle l’estrade qu’elle parcourt en rugissant d’une voix rauque. C’est une louve blessée qui hurle. Qui entendra son désespoir ? Elle gémit puis exhale un dernier râle que le public, le visage tendu vers la scène, semble partager. Un tonnerre d’applaudissements éclate. Encore et encore. Qui interrompra ce duo d’amour entre l’artiste et ses admirateurs ? Une heure durant, ils se livrent à la grande parade des amants, puis Phyu Phyu épuisée et tremblante s’éclipse derrière la scène. Sa sœur l’enroule dans une grande serviette. Sur la pelouse, lentement la foule s’écoule.
*Longue jupe habituellement portée par les Birmans, hommes ou femmes.
Claude Ribéra-Pervillé
juin 2012
Phyu Phyu Kyaw Thein
Phyu Phyu Kyaw Thein est née à Rangoun. Père banquier, mère professeur d’université. Elle commence à chanter à l’église baptiste, communauté à laquelle elle appartient toujours. Débuts publics en 2003. Elle termine ses études de médecine avant de se consacrer uniquement au hard rock. Avec le groupe Iron cross, elle est une des premières à introduire ce type de musique en Birmanie. Sa famille, au début réticente, gère aujourd'hui sa carrière. Phyu Phyu chante en anglais et en birman. Plusieurs compositeurs travaillent pour elle. On la voit dans la publicité, les revues de mode, à la télévision... Bien que âgée de près de trente ans, elle ne sort jamais sans chaperon.