La  passeuse

Françoise Clémenceau ( photo E. Lavault)

 

Françoise Clemenceau, figure bordelaise de la Résistance, nous conte avec tendresse et humour, dans un recueil de mémoires, des récits de vies croisées lors de ses nombreuses activités. 

Aux côtés de François Reynaert, Éric Naulleau ou Marc Dugain, avec de beaux textes simples, émouvants, tragiques ou parfois drôles, Françoise Clemenceau, fringante nonagénaire tient sa place au salon du livre La grande évasion de Pessac. Elle présente son recueil de mémoires Petites Nouvelles de Petites Gens où, à la façon de Michel Serres, elle nous raconte que, non, ce n’était pas mieux avant, avant les réseaux sociaux, Internet et le smartphone pour tous. 

 

Dimanches sacrifiés

Elle est née en Dordogne en 1928 dans un milieu aisé et protestant, fait de retenue, de bienveillance et d’attention à l’autre. Son père, journaliste à la Petite Gironde, meurt prématurément. Sa mère, chef d’antenne d’un réseau de renseignements dès 1941, prend la responsabilité d’intégrer sa fille au mouvement ! 

Agent de liaison à 14 ans (les transmissions se font depuis sa chambre de collégienne) Françoise va vivre une période de tous les dangers, en toute inconscience, sous l’apparence d’une vie banale. Le cœur serré, nous découvrons ces épisodes d’alors : Françoise a compris que La Barrique, celle qui parle trop, va être liquidée : elle n’aura de cesse de la faire épargner. 

Scout à 15 ans, elle est en charge d’accueillir et de divertir, le dimanche, des enfants venus d’un sanatorium de l’Aisne, ayant fui à pied les bombardements. Quel abîme entre elle, ses " bonnes manières " et ces enfants hargneux, méchants, cabossés pour toujours. Ce n’est que bien plus tard qu’une petite Gisèle lui en manifestera de la reconnaissance. 

Après la guerre, elle suit des études de droit (sous la houlette de Jacques Ellul et Maurice Duverger) puis de pharmacie. Elle crée son officine en banlieue de Bordeaux et la tient 23 ans tout en élevant ses 4 enfants. Fidèle à son engagement de toujours, elle est encore à 93 ans vice-présidente de la Maison de retraite protestante de Bordeaux. 

 

Un passé révolu 

Dans cet établissement, un projet est né depuis peu : garder les mémoires de ceux qui en ont encore, les aider à retrouver ces moments qui les ont marqués pour en faire des liens avec leurs descendants, « un lien qui procède du cœur et de l’esprit. » ajoute Françoise. « La transmission telle qu’elle s’opérait depuis la nuit des temps n’existe plus. Il n’y aura probablement plus que l’apprentissage de la propreté et de la bicyclette que les parents apprendront à leurs enfants. » regrette-t-elle. 

Ces histoires tirées des mémoires encore vives ou en lambeaux, c’est Françoise qui va les mettre en forme, du clochard au pasteur, en passant par ses propres souvenirs de la Résistance. La Maison de retraite en a décidé l’édition, « non par curiosité mais par respect et par amour… pour transmettre un peu d’un passé révolu. » précise-t-elle. 

« Penser, se souvenir, raconter, autant de petits riens qui soignent et apaisent. C’est un peu cela qui a procédé à notre choix éditorial » conclut Françoise. 

 

Quelques souvenirs... 

Gaby était la crieuse de journaux dans le triangle d’or. Elle est bien née mais collectionne les accidents : les hommes, la drogue, l’alcool ; sale, buvant, fumant les mégots jetés par ces messieurs de la Haute, dormant dans la ruelle du Journal. Elle aura son Taj Mahal grâce à Frisco, beau noir flamboyant, son dernier homme, souteneur mais pratiquant. 

Un vieil homme réclame son vin rouge dans sa timbale d’argent il veut retrouver le goût de celui des demoiselles Malleyrand de son enfance. 

Monsieur Quentin ancien professeur confond gueule d’ange et belle éducation 

Monsieur Jean est resté seul à Bordeaux, sa maison d’enfance est vendue ! Il aime trop les dahlias. 

Jeanne et Albert arrivent le même jour dans cette maison de retraite, elle est sourde, il est taiseux ; elle fait respecter les horaires dans la résidence et lui, suit le jardinier comme son ombre. Un jour, ils se prennent la main. Leurs mémoires s’échangent et ils meurent le même jour. 

Monsieur Duprat possède une belle pharmacie à la sortie de la rocade à proximité de Haut-Lévêque, il est serviable et consciencieux oui mais confond droite et gauche. Après la tempête de 1999, dans la forêt anéantie, on retrouve plusieurs voitures enlisées avec leurs passagers… 

 

Édith Lavault