Le cuir fait mer
Photos de D. Sherwin-White
À La Teste, une jeune entrepreneuse redonne ses lettres de noblesse à la technique ancestrale et luxueuse du tannage de peau de poisson. Une démarche écologique de valorisation des déchets.
Son minuscule atelier est un ancien cabanon d’ostréiculteur. Il est en bois et donne sur le port de la Teste. À l’intérieur, une étuve prend la plus grande place. Contre un mur, une presse puis en face une machine servant à teindre. Drôle d’endroit pour une start-up. Et pourtant, c’est bien une jeune pousse que FEMER, autoentreprise fondée il y a six ans par Marielle Philipp, jeune trentenaire native du Bassin afin de remettre au goût du jour la technique ancestrale du tannage de la peau de poisson.
Ni déchet ni pollution
Cette technique du cuir marin était déjà à la mode au XVIIIe siècle, par la grâce d’un certain Jean-Claude Galluchat. Le gainier-maroquinier de Louis XV en recouvrait les objets rares dont raffolait la marquise de Pompadour. Marielle Philipp relève donc le défi avec d’autant plus d’enthousiasme que, dotée d’une sensibilité écologique, elle est fermement motivée pour épargner le plus possible l’environnement. Diplômée d’un master de droit environnemental et d’une spécialisation dans la gestion des littoraux et des mers, elle était sensibilisée à l’idée de participer à la valorisation d’une matière première qui, sans elle, serait perdue et qu’elle recueille auprès des pêcheurs locaux, favorisant ainsi le circuit court : ostréiculteurs, mareyeurs, pisciculteurs. Ils lui fournissent les peaux destinées à être jetées après le filetage et ce, gratuitement, sans déchet ni pollution. « Je ne prends aucune espèce protégée, précise-t-elle, je n’accepte que des peaux de bars, truites, soles, esturgeons, saumons… Au total une dizaine d’espèces qui ont pour caractéristique commune un grain unique et une peau sans odeur. »
Une fois la matière première récupérée, le processus d’élaboration est complexe : tout d’abord les peaux sont dégraissées et écaillées dans un local différent. Une dizaine de personnes handicapées s’appliquent à cette méthode. La solidarité côtoie l’écologie. Une fois ce travail réalisé, le produit est amené à l’atelier. C’est le moment du tannage. Marielle Philipp refuse d’utiliser le chrome couramment employé bien que toxique et polluant. Elle emploie du broyat de mimosas. Au sortir de la machine, les peaux sont sèches et froissées. Ces dernières sont posées sur des tréteaux en bois. Elles attendent de passer à la presse qui leur donnera forme.
20 euros la peau
La production dépend comme toujours de la demande. À l’échelle de la France, ses principaux clients sont des artisans maroquiniers, des chausseurs, des bijoutiers ainsi que des entreprises qui s’occupent de l’aménagement de bateaux de luxe. La marque Shoes a réalisé des tennis en peau de truite. En raison du prix de la peau, 20 euros en moyenne, le positionnement ne peut être que dans l’industrie très haut de gamme ou le marché du luxe. À l’étranger actuellement des ateliers de confection existent en Islande, au Brésil, en Thaïlande. Ils sont sa principale concurrence.
Un aiguillon pour Marielle Phillip qui se dit certaine de pouvoir très prochainement s’autoriser à percevoir un salaire, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cependant à la saison des fêtes, la demande est très importante et progresse chaque année. Depuis son cabanon de La Teste, la jeune femme, volontaire et pleine d’espoir, confortée dans sa démarche par plusieurs prix reçus valorisant la création d’entreprise, reste consciente que le chemin est encore long.
Arlette Petit