Raconter l'inentendable
Portrait de Beata Umbyeyi Mairesse par Anne-Laure Boyer
Une romancière franco-rwandaise et bordelaise parle de façon détournée, à travers ses écrits, du génocide des Tutsi du Rwanda et de ses impacts sur l’identité et les liens familiaux.
Par Léa Thomas
Beata Umubyeyi Mairesse est poète et écrivaine. Elle arrive en France en juillet 1994, à 15 ans, après avoir survécu à l’horreur du génocide perpétré contre les Tutsi. Elle poursuit alors des études brillantes, entre littérature et engagement humanitaire. Avec son dernier roman, Tous tes enfants dispersés, elle remporte le Prix des cinq continents pour la francophonie 2020. Ce livre aborde, par le biais d’une histoire fictive, le vécu d’une famille tutsi rescapée des tueries, ainsi que les conséquences sur leurs vies aujourd’hui et sur les liens qui les unissent.
La langue française au cœur de son histoire
Née en 1979 à Butare au Rwanda, d’un père polonais et d’une mère rwandaise et tutsi, Beata Umubyeyi Mairesse étudie à l’école internationale belge de la même ville où elle y apprend la langue française et devient bilingue avec le Kinyarwanda, sa langue maternelle. Elle passe déjà beaucoup de temps au sein de la librairie du Centre culturel français et de la bibliothèque de l’Université, plongée dans de nombreux romans qui lui donnent alors l’amour de la littérature. Dans son idéal de jeune fille passionnée par les mots, elle souhaite devenir journaliste.
Les massacres débutent en avril 1994. Grâce à sa maîtrise du français et à sa couleur de peau métisse qui lui permettent de se faire passer pour une étrangère, elle échappe de justesse aux machettes des tueurs. En juin, alors que les tueries battent leur plein dans le pays, un convoi humanitaire de l’ONG1 Terre des Hommes permet le salut à l’adolescente et à sa mère.
Arrivée en France, elle termine son parcours scolaire secondaire puis se dirige vers Hypokhâgne et Khâgne avant de poursuivre des études en sciences politiques. Après un passé traumatique, Beata Umubyeyi Mairesse cherche à faire de sa vie, quelque chose d’utile et opte alors pour une formation en coopération internationale et action humanitaire. Elle s’engage dans une grande ONG française qui lutte contre le sida en Afrique. Puis ses missions se diversifient avec d’autres associations, œuvrant contre la précarité. Toujours autour du Sida, une expérience de recherche au Canada, sur les actions en santé communautaire, parfait son parcours. De retour en France, elle continue d’œuvrer dans le domaine de l’engagement auprès de Aides2. Aujourd’hui, elle partage son temps entre son métier d’écrivaine et une activité au sein de l’association bordelaise Rénovation où elle coordonne le projet de prévention du suicide.
Le moyen de raconter
Les deux premières publications primées de Beata, Ejo, suivie de Lézardes et autres nouvelles, abordent l’avant et l’après génocide au travers des voix de femmes et de la jeune génération rwandaise, des enfants en 1994. Puis elle publie en 2019, aux éditions Autrement, Tous tes enfants dispersés. Ce dernier roman, qui est une fiction, utilise le génocide pour évoquer les vies rwandaises sur trois générations, autour des thèmes de la transmission et des liens familiaux profondément meurtris par l’extermination ethnique, le silence et le poids des secrets.
Selon l’autrice, « Le génocide est présent bien sûr mais ce n’est pas que ça. Il était important de parler des vies rwandaises dans leur totalité, pas uniquement pendant la tranche des cent jours où se sont déroulés les massacres. L’écriture de ce livre était également un moyen de rendre les choses entendables pour ceux à qui cela est impossible encore d’écouter et d’entendre des témoignages sur ce qui s’est passé pendant le génocide.
Ce n’est pas indicible ou innommable car il y a des témoignages qui racontent, c’est surtout que ce n’est pas entendable. Il a fallu donc trouver une autre façon d’être entendu et de raconter et la littérature l’a permis. »
Œuvre descriptive des temps passés et présents, Tous tes enfants dispersés est teinté de métaphores utilisant un vocabulaire floral et riche en couleurs. L’utilisation ponctuelle de la langue Kinyarwanda lui confère un aspect poétique qui contraste avec la dureté des histoires des protagonistes, chez qui l’on devine les stigmates et les blessures cachées. Évoquant le métissage des générations ainsi que la quête identitaire par la compréhension du passé, ce roman est un magnifique témoignage du courage des victimes qui ont survécu au génocide des Tutsi, de celles et ceux qui ont survécu et qui reviennent au Rwanda à la recherche de leur histoire personnelle et familiale. Enfin ce livre touche des problématiques plus communes dans lesquelles d’autres personnes rescapées d’un conflit ou immigrées pourraient se retrouver. Beata Umubyeyi Mairesse a d’autres projets d’écriture pour l’avenir, toujours portés par la volonté de raconter des histoires et de témoigner.
Mémoire
Il semble important de rappeler ce qu’a été le génocide des Tutsi du Rwanda. Les tueries du génocide débutèrent officiellement le 7 avril 1994 après que l’avion qui transportait le président hutu Juvénal Habyarimana fut abattu à Kigali.
Mais des massacres à l’encontre des Tutsi s’étaient déjà opérés dans les années 1950 et au début des années 1990, poussant un bon nombre d’entre eux à l’exode dans les pays limitrophes. Entre avril et juillet 1994, devant le silence absolu de la communauté internationale, l’extermination systématique des Tutsi et de certains Hutu modérés par les milices hutu extrémistes, fît un million de morts. Ce crime contre l’humanité aurait certainement pu être éviter. Ne les oublions pas.
1 ONG : Organisation non gouvernementale
2 Aides : association française de lutte contre le sida
Le roman de Beata Umubyeyi Mairesse publié par les éditions : J'ai lu
Edition originale chez l'éditeur Autrement