Vous pensez que la Valse des patineurs est de Strauss ! Non, elle est d’Émile Waldteufel, auteur de centaines d’œuvres musicales, encensé au XIXe siècle, oublié au XXe.

Émile Waldteufel est né à Strasbourg, le 9 février 1837, il est issu d'une longue lignée de musiciens originaires d'Alsace. Son nom viendrait d'un jouet alsacien, sorte de petite crécelle, appelée waldteufel, qui ressemble au son du violon de Moyse, le grand-père d’Émile. Ses parents, Louis et Flora, sont professeurs de musique. Louis, violoniste de grand talent, est un chef d’orchestre réputé dans la région strasbourgeoise et le pays de Bade. Le jeune Émile apprend le piano avec sa mère Flora.

En décembre 1844, la famille Waldteufel déménage à Paris pour permettre aux quatre garçons1 du couple d’étudier la musique au Conservatoire national de Paris. L'orchestre familial devient une véritable entreprise sous le nom d’Orchestre Waldteufel. La start-up est devenue une « licorne ».

En 1853, Émile rejoint son frère Léon au Conservatoire pour ses études de piano et compose de la musique dite à danser. Il y côtoie Jules Massenet et Georges Bizet, tout en contribuant comme pianiste, parfois compositeur, à l’expansion et au succès de l’orchestre familial qui donne toujours plus de concerts publics et privés.

Le « Strauss de Paris »

Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, Émile Waldteufel fréquente tous les souverains, présidents, écrivains et musiciens d’Europe. Jugez du peu. Avec leur orchestre, Émile et son frère Léon dirigent les grands bals officiels. À l’été de 1862, à Biarritz, il rencontre le tsar Alexandre de Russie, croise également Bismarck, le chancelier prussien, venu rencontrer Napoléon III. Rapidement, il est nommé pianiste de l'Impératrice Eugénie et du prince impérial, puis, directeur des bals de la Cour. Hector Berlioz le surnomme le « Strauss de Paris ». Il est officiellement chargé des Soirées de Compiègne où il retrouve Prosper Mérimée et les compositeurs Esprit Auber, Ambroise Thomas et Frantz Liszt. L’année suivante, Émile devient chef des bals de la Cour aux Tuileries. Émile Zola le définit comme un  génial fabriquant de valses. En 1870, surviennent la défaite de Sedan et la chute de l'Empire. L'Alsace devient allemande. Le 10 mai 1871, le Traité de Francfort demande aux Alsaciens de choisir leur nationalité et Émile reste français. Durant la Commune de Paris, il réside à Montmartre et rencontre une jeune cantatrice de Toulouse, Célestine Dufau2.

Bals et guinguettes

En 1873, après la défaite des Communards, le président Mac Mahon succède à Thiers. Il rétablit les grands bals et nomme Émile directeur des bals de la présidence de la République. Grâce à sa musique, celui-ci reste apprécié par tous les régimes de la France de cette époque. Il cultive sa renommée internationale auprès de tous les monarques européens et dirige bientôt les grands bals de la reine Victoria au palais de Buckingham.

S’il donne des concerts dans les palais et les opéras, Émile œuvre aussi pour le peuple des bals et guinguettes. C’est la  Belle époque.

En 1879, il gèle à Paris, jusqu'à moins 26 °C, et on patine sur les étangs et même les places. Émile compose La valse des patineurs.

Il est désormais joué à Berlin, Londres et Paris avec succès. En 1889, c’est la consécration suprême, le président de la République le désigne chef des grands bals de l'Opéra de Paris. La même année, un duel l'oppose, à Berlin, à Johann Strauss. La presse les classe ex-aequo ! Waldteufel est au sommet de sa gloire.

Émile Waldteufel s'éteint le 12 février 1915, en pleine guerre de 14-18. L’Alsace encore occupée et les Allemands revanchards de l’avoir vu choisir la France n'ont pas contribué à pérenniser sa gloire. Ses cendres sont déposées sous une pierre tombale au cimetière du Père-Lachaise.

 Jusqu'à nos jours, sa musique est plus célèbre que lui-même. Musicien prolifique et génial, Émile Waldteufel fait partie de notre patrimoine national.

Source : Émile Waldteufel : Le Strauss français, Bernard Fischbach, Yves Waldteufel (R. Hirlé, Strasbourg - 1997) 

1Luis et Flora ont quatre fils, Achille Léon,chef d’orchestre des bals de la Cour et de la Présidence, édouard et émile.

2 Il l’épouse le 15 mars1873, ils auront trois enfants Henri, René et Berthe qui est l’arrière grand-mère de Julien Doré, compositeur et interprète aujourd’hui.

3 Valse orchestrée par Chostakovitch sous l’opus valse n 2. 

Aujourd’hui, cinéma et publicité se sont emparés de sa musique.

La valse Amour et Printemps a été le générique du Ciné-club d’Antenne 2. Attribuée à tort au russe Dimitri Chostakovitch3, elle est le support d’une publicité de la CNP Assurances.

La valse des patineurs illustre films et téléfilms (Chez Maupassant), dessins animés (Bob l'éponge), publicités (Afflelou) et fait partie des oeuvres données aux concerts du Nouvel An.

Eric Dabé