Une presque inconnue
Clémentine-Hélène Dufau : un pas de plus vers l’égalité dans le domaine des arts.
De nos jours, enfin, les femmes artistes-peintres peuvent bénéficier du succès qu’elles méritent. Dans le passé, elles furent souvent marginalisées, n’ayant pas droit aux études anatomiques et aux ateliers de peinture, occupés uniquement par les hommes. Mais la Girondine Clémentine-Hélène Dufau (1869-1937) a su affronter le patriarcat et le puritanisme de son époque, peignant selon son goût et son envie. Artiste engagée, elle a lutté pour la cause féminine.
Artiste avant-gardiste.
Après une longue période d’oubli inexpliqué, si ce n’est peut-être par les troubles de l’entre-deux guerres, ses œuvres suscitent un regain d’intérêt mérité. La diversité et la qualité de ses peintures, affiches, illustrations, décorations en font une artiste accomplie et avant-gardiste. De nombreux musées possèdent certaines de ses peintures, notamment des nus. Il est possible d’en admirer, notamment l’un des plus beaux, au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Baigneuse. En contemplant ce tableau, ce qu'on retient, c’est la quiétude qui s’en dégage. La jeune femme essuie doucement l’eau qui est encore présente après le bain. Son visage est songeur, apaisé. Elle semble indifférente au décor, comme figée dans son rêve. Cette œuvre est empreinte de poésie, de douceur, de grâce, comme la plupart de ses nus. À l’opposé des peintures tourmentées de ses contemporains comme ceux d'Egon Schiele. Quant à ses affiches, également exposées dans des musées, ce qui est remarquable, c’est la force qui s’en dégage, les couleurs vives, le mouvement, la perfection ; on y devine un caractère volontaire, indifférent aux critiques éventuelles.
Tromper son ennui
Clémentine-Hélène Dufau vient au monde en 1869 à Quinsac en Gironde. Elle est la quatrième et dernière de la fratrie. Lors de son enfance, elle fait une mauvaise chute qui l’oblige à rester allongée une grande partie de la journée. Pour tromper son ennui, elle lit et dessine beaucoup, laissant ainsi apparaître ses grandes capacités. Dès le mariage de ses sœurs, elle prend la décision de partir à Paris afin de prendre des cours de peinture, elle n’a alors que 18 ans. Ses parents vendent aussitôt leur propriété viticole et l’accompagnent dans la capitale. Elle s’inscrit à l’Académie Julian, dans la section féminine de l’atelier de William Bouguereau (1825-1905). Elle fait très vite de grands progrès, assimilant rapidement la technique, écoutant très sérieusement les conseils avisés de son professeur.
Artiste reconnue
Soutenue par son mentor, elle peut exposer le portrait de son père au pastel dès 1889 au Salon des Artistes Français. Six ans plus tard, elle se fait remarquer avec sa toile Ricochet, pour laquelle elle reçoit le prix Marie Bashkirtseff qui récompense les jeunes talents. La presse la découvre, elle commence à recevoir des commandes : illustrations de livres et projets d’affiches, notamment Le Bal des increvables, pour le lancement du journal La Fronde, fondé en 1897. En 1898, elle obtient une bourse pour un voyage d’étude d’un an en Espagne, et à son retour, expose ses œuvres qui obtiennent un très grand succès. À partir de 1905, devenue une artiste reconnue, elle est reçue dans les salons littéraires parisiens, sympathise avec Edmond Rostand et décore sa villa Arnaga à Cambo-les-Bains. Elle éprouve des sentiments amoureux pour son fils, Maurice, encore adolescent. Cette passion dure plusieurs années sans être partagée, ce jeune étant homosexuel.
Clémentine-Hélène Dufau est nommée Chevalier de la Légion d’Honneur en 1909. Sa carrière est au summum, elle est chargée de décorer la nouvelle Sorbonne (astronomie, mathématiques et magnétisme). Elle peint le portrait de nombreuses personnalités, voyage à l’étranger et expose ses œuvres. En 1932, elle écrit son livre-testament Les trois couleurs de la lumière où elle expose sa vision ésotérique de l’art. Elle n’a pas cessé d’évoluer passant du réalisme au symbolisme.
Féministe et unificatrice, elle tente une synthèse entre « la tradition ésotérique et les recherches scientifiques, notamment sur la résonance et les fréquences des couleurs ». Elle dénonce les violences faites aux femmes et lance un appel pour l’égalité des sexes. Elle expose encore au Salon de la Société des femmes artistes modernes. Mais n’ayant pas su gérer son patrimoine, elle meurt dans le besoin à Paris en 1937 et tombe dans l'oubli.
Arlette Petit