Urbs, bosseur et incisif
décapant, avec un zeste d’humour acide et d’absurde !
À deux pas de la place du Palais et de la porte Caillaux, Urbs solidement campé derrière son comptoir de librairie, les yeux pétillants de malice, reçoit, rue des Argentiers, dans son antre bordelais La mauvaise réputation, clin d’œil manifeste à Brassens.
Dans ses dessins, rythmés par la sortie du quotidien régional et de l’hebdo satyrique où il est publié, Urbs pourfend la politique et l’opinion avec une sagacité souvent cruelle. On retrouve pleinement ce personnage libertaire dans les œuvres proposées dans sa librairie fréquentée par un public averti qui recherche des ouvrages qu’il trouve difficilement ailleurs.
Derrière le dessinateur à la plume acérée apparaît un homme tout en contraste, empreint de vérité et d’une grande sensibilité, à la fois austère et ouvert sur les autres. Il séduit son auditoire, à l’image de son intervention récente à la médiathèque de Cestas où il donne patiemment des conseils à des jeunes collégiens. Il prend son temps, malgré l’heure tardive pour les gratifier dans leur cahier d’écolier, de dessins inoubliables pour eux.
Charlie hebdo dès l’enfance
Élevé en Charente par une famille très à gauche, il s’imprègne dès 8 ans du monde des bandes dessinées, omniprésentes à Angoulême. « Je découvre Charlie hebdo, Hara kiri. Cela développe précocement en moi une analyse sévère de la société. Ma rencontre avec Labachot, dessinateur de presse à La Charente libre me touche et plus fortement encore Reiser et Wolinski. Les années 1970/1980, marquées par les évènements de 1968 et la lutte active menée par l’extrême-gauche empreinte de nihilisme, baignent ma jeunesse. Je réalise mon premier dessin politique au lycée ce qui me vaut de me faire casser la gueule par des gens de droite ! Je découvre les graffitis et m’embarque dans une période punk. Je ne suis cependant pas un rebelle mais le quotidien et le lycée m’emmerdent profondément. Je loupe mon bac mais cela ne m’empêche pas, à 19 ans, en 1989, de trouver un job en Angleterre comme prof de français dans un établissement privé ! À la différence de nombreux gens de gauche qui se déclarent prêt à mourir pour le peuple mais ne veulent pas à vivre avec, je suis rattrapé par mon désir de partager leur vie au travail, sensibilisé par le monde ouvrier de mes grands parents. Après plusieurs petits boulots tous aussi mal payés, je suis recruté à Libourne comme cariste. »
Quelques dessins fournis par Urbs, pour le journal
Un dessin au comptoir
Après quelques années de cette expérience ouvrière éprouvante, le jeune Rodolphe réalise que cela ne débouche sur rien de satisfaisant. Tout en continuant à dessiner au quotidien, il décide de s’investir dans une autre direction. Il s’intéresse aux livres et, encouragé par sa compagne, décide de créer à Bordeaux une librairie alternative.
Pour s’y préparer, il s’inscrit à l’IUT Montaigne qui forme à ce métier. Sans moyens, ses amis s’endettent pour lui permettre les investissements indispensables. Il peut enfin ouvrir La Mauvaise Réputation, dont le nom affiche clairement le contenu.
« Je prends surtout plaisir à échanger avec mes clients dont certains deviennent très proches, sur des ouvrages dont nous partageons l’intérêt. Trois livres illustrent bien l’orientation et la diversité des ouvrages proposés dans cet établissement : l’Anthologie de la subversion carabinée, Mygale qui est un chef d’œuvre absolu et La vie sexuelle de Tonton ! Cependant la librairie n’est pas restée dans cette frange underground et nous avons développé avec réussite des rayons plus classiques. Aujourd’hui, je suis le plus souvent physiquement à la librairie mais intellectuellement pris par le dessin du jour. De façon entêtante, il mobilise ma pensée pour rechercher et mûrir des idées déclenchées par les dernières infos. Souvent même j’esquisse un dessin au comptoir en attendant la clientèle ! »
Urbs dans sa librairie: La mauvaise réputation
Photos de F. Bergougnoux
Du Résistant au Canard
Ses premières illustrations d’articles sont publiées en 1998 dans Le Résistant de Libourne. Il en est très fier. « En 2000, un contact avec Le petit Rouge me conduit à faire tous les quinze jours un dessin sur des mecs qui sont au bar, repris dans une pub dans Clubs et concerts. J’en produis parallèlement de plus politiques dans un magazine satirique Nouvelles vagues. Un ami me pousse à amener mes dessins à Sud Ouest. Je m’aperçois que mes dernières œuvres sont suivies de près et intéressent manifestement le quotidien régional. Deux mois passent avant que soit pris un premier dessin, puis trois mois encore. C’est flippant ! Plus tard enfin, je leur adresse à leur demande, des propositions tous les quinze jours et je finis par être publié régulièrement dans la chronique locale Le tire-bouchon.
Progressivement, je suis reconnu par la rédaction qui me propose alors de produire quotidiennement le dessin de presse de Sud Ouest mais je suis en concurrence avec Large. Nous émettons le souhait de le réaliser à tour de rôle ce qui est adopté par le journal. Aujourd’hui nos deux styles s’expriment librement, commentant une semaine sur deux, les faits du moment »
Le Canard enchainé le repère sur les réseaux sociaux où Urbs diffuse largement. « Introduit par un écrivain, j’envoie des propositions régulièrement pendant deux ans, sans réponse. Je me désespère mais je suis particulièrement tenace ! À un moment, ça leur a parlé et progressivement, j’ai pu prendre place parmi les 21 dessinateurs qui participent à cet hebdo satirique. Je suis fier d’en être mais le combat fut rude.
Le Canard a la hantise des événements qui surviennent juste après le bouclage du mardi. Être les premiers à réagir, avec la justesse et la férocité maison, est une obligation mais la maîtrise des horloges des événements à sensation relève d’un autre algorithme ! La disparition de Johnny, mort dans la nuit du mardi au mercredi, rentre dans ce cas de figure. Quel gâchis de traiter le sujet pour le moins refroidi, bien après tous les médias ! Cette situation s’est aussi présentée pour Pasqua, disparu le mardi à 22 h. Pour les pros du Canard, il s’est montré « aussi chiant dans sa mort que dans sa vie ».
Urbs a été confronté récemment à cette situation. « Me trouvant à la gare Montparnasse en rentrant à Bordeaux, je suis soudainement appelé par mon rédac en chef, suite à la démission de De Rugy, survenue juste après notre réunion. Il me laisse 15 minutes pour faire une proposition de dessin. Je m’exécute immédiatement sur mon portable sur le quai. Heureusement cette urgence absolue m’a inspiré ! »
Au-delà du plaisir jouissif que nous prenons parfois, à la vue de nos propres réalisations, satisfaits d’avoir trouvé la bonne expression avec le mot juste, le dessin de presse reste une école de frustration. « Il me faut dix minutes pour le réaliser mais souvent de nombreuses heures à le mûrir, avant qu’il gicle sur le papier, me libérant enfin de cette pression ! »
Fier d’être reconnu aujourd’hui après des années de galère, je reste humble. Avant tout je suis un bosseur qui a trouvé depuis 10 ans, son style dans le dessin de presse, La mauvaise réputation restant mon point d’ancrage. »
François Bergougnoux