Visiteur de prison
La cour de promenade de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis
Ils sont 1 500 femmes et hommes qui consacrent une partie de leur temps à rencontrer les détenus.
Membre de l’association Aides qui lutte contre le VIH/Sida et les hépatites, Henri a été visiteur de prison pendant une dizaine d’années. L’Obervatoire a recueilli son témoignage.
— Quand et comment êtes-vous devenu visiteur de prison ?
— En 2001, Aides m’a proposé de visiter les hommes et les femmes malades du Sida, emprisonnés en région parisienne. J’ai alors sollicité les Services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Après une enquête de police approfondie, ils m’ont agréé pour tous les lieux de détention de la région parisienne dont les maisons d’arrêt de Fresnes, La Santé, Fleury-Mérogis, les trois plus grosses prisons de France. Ces malades vivaient la prison comme une double peine : la privation de liberté et le regard de leurs codétenus, celui des gardiens aussi, confrontés à ces maladies « déviantes ». J’étais présent près d’eux pour m’assurer que le personnel pénitentiaire et les médecins prenaient correctement leur maladie en compte.
Corse par mon père et Basque par ma mère, j’ai été, au fil des mois, sollicité par des détenus « politiques », car tout se sait en prison. Comme je rencontrais aussi bien ces personnes que des malades, les détenus « ordinaires » ne savaient plus très bien qui était militant, qui était malade, pour le grand bénéfice de ces derniers.
— Qui choisit les détenus visités.
— Toute personne emprisonnée peut demander à voir un visiteur par le canal du SPIP. Dans le cas d’associations comme Aides ou cultuelles, ou encore comme GENEPI qui assure des cours de soutien aux détenus, les personnes à visiter sont choisies souvent à la suite de liens épistolaires ou à la demande des familles. Les souhaits des détenus sont généralement acceptés. Il m’est arrivé néanmoins de refuser de voir des coupables de crimes particulièrement odieux, comme ce violeur de petites filles.
— Comment se passent les visites en prison ?
— Comme tout un chacun, j’avais une idée préconçue de la prison, j’appréhendais de me confronter à ce monde carcéral. La rencontre se fait en « parloir avocat », vous y êtes seul face au prisonnier. Pour chaque nouveau contact, vous vous trouvez en présence d’une personne que vous ne connaissez pas, à moins qu’elle ait été médiatisée. De nombreuses questions vous viennent : quel est son état d’esprit, comment l’aborder… Mais les choses se passaient généralement sans problème, il est vrai que j’étais là toujours avec leur accord et essentiellement pour servir de lien entre lui, sa famille et ses proches, ainsi qu’avec son ou ses avocats. Je fournissais également à certains, des livres et des journaux, L’Équipe étant le plus prisé !
En 2006, une transsexuelle Chloé m’a appelé à son secours. Elle vivait dans une très grande solitude, car elle n’avait pas le droit de côtoyer les hommes, l’Administration craignant qu’ils ne l’agressent, ni les femmes, car elle était considérée comme un homme. Elle était très dépressive, prête à tout pour se suicider, j’ai passé de longues heures avec elle pour l’en dissuader. Aujourd’hui libre, elle a été opérée et s’est mariée. Elle me donne périodiquement de ses nouvelles.
— Parmi toutes les personnes que vous avez rencontrées, quelles sont celles qui vous ont le plus particulièrement marqué ?
— Les plus touchants sont, hélas, ces jeunes décédés du Sida en détention ou quelques jours après leur libération. Il y a bien d’autres détenus avec lesquels j’ai tissé, au fil des rencontres, des relations de confiance réciproque et même parfois d’amitié. C’est ainsi que j’étais témoin du mariage d’Yvan Colonna en prison et que je suis resté proche de Philippe El Shennawy*, détenu 37 ans et libéré en 2014. Je me souviens aussi du jour où j’ai dû annoncer à Rachid Ramda**, car le directeur de la prison ne voulait pas le faire et son avocat était indisponible, la mort de son père, c’est la seule fois où il a fendu la cuirasse.
Pendant ces 10 ans de visiteur, j’ai été confronté douloureusement au bruit des portes que l’on ouvre ou ferme, à la saleté des locaux, à la promiscuité, au pouvoir des matons, à la déchéance, à la détresse. J’ai aussi parfois rencontré la force de caractère de certains détenus qui arrivent, malgré tout, à se comporter dignement et à préparer leur sortie de prison, en reprenant des études jusqu’à obtenir des diplômes universitaires supérieurs.
Roger Peuron
*Philippe El-Shennawy, né en Égypte en 1954, braqueur, détenu pendant 37 ans pour le hold-up du CIC de l'avenue de Breteuil à Paris,, suivi de deux évasions.
**Rachid Ramda (né en Algérie en 1969 - aussi connu sous le nom de Abou Farès), accusé d'être le « cerveau » des attentats de l'été 1995 dans les transports publics à Paris, a été condamné le 26 octobre 2007, par la Cour d'assises de Paris, à la réclusion criminelle à perpétuité.