Uber, saint patron des coursiers

Depuis quelques mois, de gros pelotons de cyclistes, volumineux sacs à dos sur les épaules, sillonnent les rues de Bordeaux. Après les voitures avec chauffeurs, les livraisons de repas à domicile, nul doute l’ubérisation est en marche.

 

Ils portent le poids de l'ubérisation (photos de D. Sherwin-White)

Elles s’appellent Deliveroo, Foodora ou Ubereats, sont concurrentes et se partagent un marché lucratif dédié à la livraison de repas à vélo, L’Observatoire s’est penché sur l’organisation de ces sociétés. Un coursier d’Ubereats, Arthur Hay a bien voulu témoigner. 

 

 

 

Le nez dans le guidon

 

La mise en place de plateformes avec des responsables régionaux, leur partenariat avec des centaines de restaurants bordelais et des milliers de coursiers, tous auto-entrepreneurs au statut précaire sont la rampe de lancement de ces entreprises. Pour Arthur Hay, jeune poitevin de 28 ans : « Nos outils majeurs sont notre vélo dont toute réparation nous incombe et une application mobile disposant du compte Uber de l’utilisateur. La récupération des plats et leur livraison (2,5 € en plus du prix du repas) doit se faire dans les 30 minutes, nous sommes géolocalisés en permanence par les plateformes. » Bien des livreurs sont des étudiants et si leur jeunesse est un atout dans le défi physique imposé par les courses incessantes, elle se heurte à la complexité de l’auto-entreprenariat et souvent au défaut de mutuelles (risque d’accidents non couverts).

 

La plupart de ceux qui livrent woks, burgers ou sushis dont ils ont la responsabilité sanitaire ont été séduits par le côté écologique de la fonction et la liberté théorique d’évolution. Mais quant le revenu fixe a pratiquement disparu pour laisser place à un paiement à la course et à la notation par les clients, beaucoup ont déchanté et tenté de faire valoir leurs droits. Arthur précise : « Par manque d’organisation et d’action, notre collectif a failli, nous avons alors sollicité les syndicats, la CGT a répondu à cet appel et je suis devenu le représentant de la section créée. »

 

 

 

Qui sont les gagnants ?

 

Le client semble dans l’ensemble satisfait, les quelques mécontents ont pourtant coûté leur place à des coursiers nullement responsables de la qualité des repas.

 

Les restaurants, par centaines, cartonnent, même en hiver. Pour les plateformes qui se frottent les mains, c’est la Saint-Uber tous les jours. Deliveroo revendique 388 % de croissance en un an (10 personnes gèrent 1 400 livreurs sur Bordeaux et Toulouse, trois salariés dirigent 400 à 500 livreurs à Ubereats).

 

Des coursiers très professionnels qui mesurent les carences de leur fonction, 24 % de cotisations au Régime social indépendant (Deliveroo ne paie pas de charges patronales), pas de congés payés, l’entretien des vélos, des plateformes qui se séparent des coursiers à revenu fixe. Ceux qui ne travaillent qu’aux heures de repas n’atteignent pas le SMIC, les plus déterminés peuvent gagner 3 000 euros en effectuant 70 h par semaine. Hugues Decosse, directeur de Deliveroo admet les progrès à accomplir en matière de sécurité et de protection sociale. Pour Arthur : « L’objectif, c’est un accord de branche pour un revenu stable, pour valoriser le travail numérique indépendant, clarifier le statut d’auto-entrepreneur et devenir de véritables partenaires des plateformes et des restaurateurs. » Lui-même travaille de 50 à 60 h par semaine, assurant son revenu surtout les week-ends, il souligne les difficultés du métier : « Les rayons de livraisons, élargis à d’autres communes, nous contraignent à effectuer de 90 à120 km par jour, nous sommes donc soumis à un exercice d’équilibriste, celui d’une cohabitation périlleuse avec voitures, bus ou camions car en ville, le danger est partout. »

 

Arthur, comme l’ensemble de ses collègues, aime ce métier, il espère que des mouvements comme la pause anti-ubérisation place Fernand Lafargue porteront leurs fruits. Il avoue : « J’ai même des projets d’auto-entrepreneur comme la livraison de boissons alcoolisées après 22 h ou celle de repas pique-nique dans les parcs. »

 

Comme toujours, à la force du jarret.

 

Claude Mazhoud