Le marché fait de la résistance
Pourquoi les irréductibles marchés traditionnels résistent-ils encore et toujours à l'invasion des grandes surfaces ?
par Jean Malbot
On a pu croire que le développement extraordinaire des super et hyper marchés allait porter un coup fatal aux autres formes de commerces, en particulier aux marchés traditionnels. Mais chaque ville se fait fort de les conserver, voire de les développer, en particulier Bassens, qui accueille un des plus gros marchés de Gironde.
Pour l'ambiance
Certes les grandes surfaces ont bien des avantages : on y trouve de tout dans un lieu unique, véritable cocon où le client est pris en charge. Au-delà de l'aspect utilitaire, on a parfois l'impression, surtout en fin de semaine, que nous
participons à un rituel : l'air pénétré, concentré sur la liste des produits à acheter, dans le temple de la consommation.
Tout cela dans une ambiance un peu aseptisée, (hormis les rayons fromagerie ou poissonnerie) ; on ne perçoit plus guère d'odeur, peu de contact humain dans ces lieux.
Même les caissières ont tendance à disparaître au profit des caisses automatiques. Et pourtant les marchés traditionnels gardent bien des atouts. L'ambiance est toute différente dans ceux-ci. Le marché dominical de Bassens est très représentatif. On y vient certes pour acheter, pas forcément moins cher que dans un supermarché, mais aussi et surtout pour son animation, ses couleurs, ces odeurs, ces saveurs et pour les gens qu'on peut y rencontrer.
La verve des commerçants « pour vous madame c'est à 1 euro, vous ne pouvez pas laisser passer cette affaire… ». La dame BCBG, qui par ailleurs, s'en offusquerait, se laisse apostropher familièrement.
Chez le maraîcher ou le poissonnier, on se laisse parfois aller à des réflexions osées, hardies, voire impudiques ou paillardes. Les passants sourient, les clients entrent dans le jeu du vendeur, le relance.
L'atmosphère est bon enfant, le langage vert, animé, sans aller jusqu'à la truculence du marché de Brive-la-Gaillarde, célébré par Georges Brassens (et où les gendarmes sont bien maltraités !). Ce serait plus tôt celle des marchés de Provence de Gilbert Bécaud.
Superbes tableaux
Nous participons à une représentation théâtrale où nous sommes à la fois acteurs et spectateurs.
Sur cette scène, le plus pittoresque des comédiens est sans doute Marcel Liotiet, ancien marchant d'épices, qui déambule une fois par mois dans les allées. Personnage atypique, portant un grand chapeau multicolore, tenant sur son épaule un mat, au sommet duquel est fixée une roue à laquelle sont accrochés des sachets de vanille. Tandis qu'il agite des grelots, sa voix retentit « pour vos confitures, crèmes, gâteaux, plats cuisinés, la vanille bourbon ! » qu'il tient pour la meilleure. Chacun se retourne sur ce retraité qui occupe ainsi son temps libre.
Le boucher s'essaie au jeu de mots et inscrit sur sa devanture « directement de l'étable à la table »
Les marchands de fruits et légumes dont les éventaires, pour peu que les rayons du soleil viennent les caresser, composent de superbes tableaux. Les oranges, le vert et le rouge des poivrons, le vert pistache des melons, les pommes multicolores : c'est comme si une corne d'abondance s'était déversée là.
La senteur des épices, l'arôme du café, le parfum des fleurs, le chatoiement des bouteilles, chez le marchand de vin : il est difficile de résister à la tentation.
De temps en temps, mais c'est exceptionnel on peut y rencontrer quelques filous : marchands forçant un peu sur le poids des denrées, prix affiché ne correspondant pas au prix à payer… La plupart du temps cela se passe dans la bonne humeur. Et puis quelque esclandre ajoute au spectacle.
N'oublions pas que Mercure a une double casquette1.
La politique s'y invite en période électorale, chaque parti prenant soin de se placer près des différentes entrées.
Au total, même si l'horizon n'est pas totalement dégagé, on peut penser que les marchés traditionnels continueront à vivre. Leurs racines sont profondes et surtout le chaland y apprécie ce qu'il ne trouve pas forcément dans les grandes surfaces : la distraction, la gouaille, la verve et la chaleur
humaine.
Encadré 1
Organisation du marché
Mr Jean-Pierre Turon, qui fût maire de Bassens de 2001 à 2020, nous apporte quelques précisions sur le marché dominical de Bassens. Il existe depuis le début des années 1960 et il accueille surtout des commerces alimentaires.
La municipalité privilégie l'origine locale des produits.
Il s'est d'abord tenu près de la gare de Bassens où existait, à l'époque, un petit centre commercial, puis il a migré sur la place éponyme à partir des années 1975.
Aujourd'hui, c'est l'un des plus gros marchés de Gironde. Il peut accueillir jusqu'à 200 commerçants et connait toujours un grand succès. Il faut toutefois apporter un léger bémol sur cette fréquentation qui a connu quelques trous d'air : durant les années Covid et aussi face à la concurrence des hyper marchés depuis que ceux-ci sont souvent ouverts le dimanche matin. Deux systèmes de fonctionnement cohabitent, d'un côté les abonnés à l'année et de l'autre les ponctuels. Pour ces derniers, s'il y a trop de candidatures, nous procédons à un tirage au sort.
Le tarif (pour ceux de nos lecteurs qui seraient intéressés !) est de 1,35 euro le mètre linéaire auquel il faut rajouter 3 euros s'il y a besoin d'électricité.
En pratique
Le marché de Bassens est ouvert tous les dimanches de 7 heures à 13 heures. On peut y acheter de l'alimentaire mais aussi des vêtements, des tissus, des chaussures et des valises, des tableaux (pas de maître) et toutes les babioles diverses qu'on trouve sur les marchés.
1Mercure était à la fois le dieu des marchands et des voleurs.