S'habiller en seconde main

Le réemploi vestimentaire est pratique, bon marché et tendance. On peut ainsi s’habiller, la conscience tranquille.

Par  Héliette Sicilia

Question de mode, instinct de survie, ou réaction écoresponsable ? À Saint-André-de-Cubzac, le réemploi vestimentaire, c’est l’affaire de la société Actifrip (acti comme activité et frip pour fripe). En 1995, l’entreprise a bâti son usine de traitement, ses trois entrepôts et ses bureaux sur un terrain de 7 000 m2. Elle a aussi installé un magasin de vente dénommé Maboul par référence aux petits prix fous qui y sont pratiqués. Son directeur général, Kévin Subrenat, raconte cette aventure.

 

L’Observatoire : Comment, à l’époque, a germé l’idée d’utiliser des vêtements déjà portés ?

— Kévin Subrenat : Très investi dans le secteur de l’économie circulaire, le créateur et gérant d’Actifrip, Philippe Larcher, reste un précurseur dans le domaine du recyclage. Au départ, il achetait les textiles inutilisés en Suisse, Allemagne, Hollande, Belgique et les revendait en France. Alors, il a tenté l’expérience en Nouvelle Aquitaine et a mis en place une organisation rationnelle du travail. Un investissement important au début. Mais finalement la clientèle, composée de consommateurs de tous âges adeptes des bonnes affaires à moindre coût et souhaitant réduire l’empreinte écologique, s’est fidélisée.

— Quel est le public concerné ?

Vous avez, d’un côté, les personnes qui souhaitent se débarrasser de certains vêtements et de l’autre, celles qui veulent s’habiller à petits prix. De ce fait, le marché de seconde main de l’habillement et de ses dérivés connaît une forte croissance. C’est la possibilité d’allonger la durée de vie d’un vêtement. A contrario, le marché de la mode est en baisse.

Dans nos magasins Maboul, la clientèle était tout d’abord composée d’étudiants peu fortunés mais soucieux de leur apparence et voulant affirmer leur style. Depuis, les mentalités ont changé et la clientèle aussi. Aujourd’hui c’est madame et monsieur Tout-le-monde que nous accueillons. Ils sont conscients de pouvoir acheter des articles vestimentaires et des pièces de marque à bon marché. Pour eux, c’est aussi l’occasion de changer le vestiaire de la famille, tout au long de l’année, en appliquant la formule : donnant/achetant.

La seconde main, c’est se faire plaisir avec bonne conscience. C’est garder en tête ce que l’on veut acheter et savoir attendre la bonne occasion. Des trésors se cachent dans tous nos rayons, il faut prendre le temps de les chercher, de les essayer.

Je vous précise qu’il ne faut pas confondre notre entreprise Actifrip avec la société Le Relais. Nous sommes le concurrent direct de cet organisme.

— Est-ce que vous proposez des produits en ligne ?

Non. Pas de ventes sur les sites internet chez nous.

— Quels sont les vêtements et les accessoires que vous récupérez ?

Il s’agit d’articles de toutes sortes qui, nettoyés et soigneusement fermés dans des sacs, sont déposés à l’intérieur de nos bornes Actifrip reconnaissables à leur couleur bleue et aux vêtements sur cintres peints sur une face. Elles sont installées sur les voies publiques et sur les parkings de grandes surfaces de diverses communes de la région. Nous récupérons chaque année 4 000 tonnes de produits. Toutes les semaines, nos magasins sont approvisionnés en vêtements, ceintures, linge de maison, sacs, chaussures, jouets.

La société recycle aussi les matières premières composant les oreillers, les coussins, les couettes qui sont expédiées aux industriels.

 

Pour asseoir sa renommée l’entreprise garantit à ses clients la nature des fibres et l’identification de la personne responsable du tri. 

— Comment s’effectue le ramassage du textile et de ses accessoires ?

Nous avons installé sur le territoire de la Nouvelle Aquitaine des conteneurs de collecte. Actuellement nous en comptabilisons plus de mille. Chaque jour nous ramassons quinze tonnes de vêtements. Nous avons organisé et facilité les passages de nos transporteurs, en équipant nos bornes de ramassage d’une sonde électronique et les tournées sont déterminées en fonction du taux de remplissage. Les camions, avant la livraison des marchandises dans l’un de nos entrepôts, sont pesés en charge puis à vide, pour déterminer le poids des textiles collectés.

— Quelles sont les étapes de la sélection des textiles ?

Les vêtements et accessoires sont déposés sur une chaîne de tri automatisé en direction de l’usine alimentant douze tables de pré-tri et neuf tables de second tri pour la qualité dite supérieure. Actifrip propose quatre-vingt-dix catégories différentes de textiles et accessoires réparties par nature de fibres et catégories de produits. Nous employons dans ce centre de triage quarante-huit salariés sous contrats à durée indéterminée. Les trieuses de textiles suivent une formation de six mois, en doublon pendant une semaine, suivi d’un contrôle de qualité de deux mois.

— Comment sont valorisées et distribuées les marchandises ?

La répartition est soigneusement contrôlée, 10 % des articles de premier choix appelés la « crème » sont destinés à nos dix magasins Maboul. Soigneusement répertoriés, ces articles sont classés sur des portants, par couleur et non par taille. Les essayages se font dans nos cabines. Nous proposons des vêtements et accessoires de qualité selon la finesse du tri, en rétro, vintage, ou ringard pour les pièces les plus démodées. Un coin, très à la mode, le corner vintage a été créé. Une partie de chacune de nos boutiques est consacrée à des vêtements de marque.

La vente s’effectue à l’unité selon une nomenclature établie par Actifrip. Vingt cinq salariés travaillent dans nos magasins. Des commerçants locaux, des marchands forains viennent également s’approvisionner chez nous.

Avant de procéder à l’expédition des autres pièces qui ne sont pas revendues directement, l’entreprise compacte à l’aide de deux presses hydrauliques des balles de trente à cinq cents kg. Chaque semaine c’est plus de cinq cents paquets de textiles qui sont expédiées aux industries de transformation et à l’exportation.

— Que deviennent les produits restants ?

Quelques filatures françaises récupèrent les textiles en laine et fibres qu’elles effilochent, reconditionnent en bobines et retraitent. Elles créent de nouveaux produits remanufacturés destinés à la vente : des bonnets, écharpes, doublures de parkas, chiffons d’essuyage, chaussettes. Mais plus de la moitié des marchandises vendues au kilo sont exportées dans des containeurs au Sénégal, Inde, Pakistan, Madagascar.

Quant aux matières moins nobles, elles sont destinées aux industries de transformation. Retraités, les rebuts ont aussi une deuxième vie. Ils servent à la confection de matériaux pour l’isolation des combles. Le textile recyclé est alors lié à du polyester pour donner sa consistance à l’isolant. Sa transformation en feutre est utilisée dans le secteur de l’automobile et dans le Bâtiment et travaux publics. Quant aux combustibles solides de récupération, dérivés des déchets déchiquetés et broyés, ils alimentent les cimenteries en carburant de substitution.

 

: Actifrip est une entreprise spécialisée dans le recyclage des textiles, linge de maison, chaussures (TLC). Elle est agréée par l’éco-organisme de la filière textile d’habillement appelé Refashion (remodeler).

Les dix magasins Maboul sont situés à Poitiers, Jonzac, Gémozac, Marsac-sur-Isle, Saint-André-de-Cubzac, Libourne, Dax, Tarbes, Lourdes, et bientôt Pessac.