À la recherche du son perdu
Depuis quelques temps, j’ai droit à des remarques me laissant coi,
Du genre : « Achète des cotons-tiges ! » ou « T’es sourd ou quoi ? »
Donc pas question de faire comme Ulysse, à me boucher les oreilles,
Pour ne pas entendre les sirènes me serinant qu’il faut un appareil.
Pris entre marteau et enclume, je vais devoir mettre le pied à l’étrier.
Fierté en sourdine, je consens, s’il le faut, à porter béquille acoustique.
J’ai ouï dire que les prothèses actuelles sont des bijoux d’électronique,
Des ordis miniatures bien loin de l’antique sonotone de grand-pépé.
Alors au lieu de m’en remettre aux dieux, étant fervent agnostique,
Je vais de ce pas consulter un spécialiste audio pour un diagnostic.
Dire otorhinolaryngologiste sans trébucher, ça rend fier !
Le mien a été peu diplomate, et je trouve qu’il exagère
De m’avoir diagnostiqué une ouïe d’octogénaire.
Pour quelqu’un comme moi d’à peine soixante ans,
C’est tout de même désinvolte et légèrement vexant.
« Bienvenue au club des malentendants, holà qué tal ? »
Ais-je dû m’entendre dire, en dégainant ma carte vitale.
Mes aigus se font la malle ; les graves, c’est moins grave ;
Et pour les mediums, j’ai le quorum. Le déficit est symétrique.
C’est, parait-il un avantage, car cela facilitera les réglages.
Après, il faut entamer la tournée des officines du quartier,
Pour demander des devis, puis essayer et comparer.
Et il y en a tant, de ces pourvoyeurs de sons nets,
Desquels vais-je tenter d’actionner la sonnette ?
Si j’essayai Audio-conseil ou Audio 2000 ou Amplifon
J’en ai d’avance mal au bidon : passez-moi un Spasfon.
Et pourquoi pas Audika, Entendre ou un indépendant ?
Le mal de crâne me prend : faites tourner le Dafalgan.
Et puis pour s’appareiller, quand on est dur de la feuille,
Mieux vaut ne pas être, en plus, mou du portefeuille.
Pour envisager d’acquérir un dispositif à amplifier les sons,
Il faut aussi en prévoir un autre pour renflouer les fonds.
Ensuite, sur quel type d’appareil jeter son dévolu ?
Alors, j’ai bien tout potassé, j’ai tout bien lu :
Entre mini contour d’oreille et intra-auriculaire,
Piles à remplacer ou bien chargeur que l’on perd,
J’opte illico pour le dispositif le moins galère,
Sans gadgets connectés qui compliquent l’affaire.
Depuis, chaque matin, comme un Monsieur Patate,
Je me fixe des bouts de plastique à gauche et à droite.
De partout, j’entends des voix, tel une Jeanne d’Arc 2.0.
Ma Colombine n’a plus besoin d’utiliser un mégaphone
Pour susurrer des mots doux à l’oreille de son Pierrot.
Mais plus d’excuse pour ignorer ses appels au téléphone !
Au début, le papier froissé sonne métallique,
Un doux zéphyr semble ouragan des Tropiques.
Des giboulées sont chutes du Niagara,
Et le moindre léger murmure est fracas.
Comme il vrombit fort, le petit moustique,
Boosté par l’amplification acoustique !
Mes pas résonnent comme si j’étais Fred Astaire.
Et le voisin bruyant, va-t-il apprendre à se taire ?
Puis arrêtez, s’il vous plait, de parler en hurlant :
Vous trouez mes tympans de pantin pantelant.
Il faut s’adresser à moi en baissant d’un ton !
Bref, l’audioprothésiste devra régler le son…
Des sons, la vie en offre des si beaux,
Pour peu qu’on capte leurs décibels,
De la corne de brume d’un paquebot
À l’aria d’une diva qui n’est pas que belle.
Mais si je veux assister à un concert de rock,
Mes oreilles neuves vont-elles tenir le choc ?
Prochaine étape : jambe de bois, œil de verre ?
Dent de titane et rotule en téflon réfractaire ?
Fémur en céramique, ménisque de plastique ?
Ou corps caverneux fait de métal précieux,
Dans bistouquette munie d’exo-squelette ?
Homme augmenté, je vais faire des envieux !
« J’ai la rate qui s’dilate », comme le chantait Ouvrard.
Je serai Robocop ou l’Homme qui valait 3 milliards.
Pour réaliser un check-up ou bien me faire réparer,
J’irai direct chez Castorama ou Bricomarché.
Hervé Bry
*Quitte à me faire tirer l’oreille, je confesse, en sourdine, que ce texte est sponsorisé par Audifon et Amplika. J’entends bien qu’il s’agit là d’un coup de canif à notre probité intellectuelle et à notre déontologie journalistique qui dépasse l’entendement. Mais qu’il n’y ait aucun malentendu : cela ne se reproduira pas. D’habitude, à L’Observatoire, on ne mange pas de ce pain là, bien entendu. On ne déguste que les délicieuses baguettes provenant de la belle boulangerie À la recherche du pain perdu, située à Mérignac, qui offre 2 sarmentines pour le prix de 3 aux clients munis de la carte d’adhérent à l’Université du temps libre. Faites circuler l’info…de bouche à oreille.
Remarque : Autre nom possible de la boulangerie fictive La Mie Dorée (LA-MI-DO-RÉ) ?
BONUS : QR code ou référence internet de Ouvrard chantant « Je suis pas bien portant » :
QR code pour accéder sur le site de l'INA, à la chanson de Gaston Ouvrard Je ne suis pas bien portant
https://www.youtube.com/watch?v=mluu9VIGifQ
Gaston Ouvrard et ses grandes oreilles - « Je suis pas bien portant »
archive INA, 1934)