Un menu couleur neige
Dans la routine des repas a-t-on jamais pensé manger tout blanc ?
C’est l’anniversaire de Karine et son ami Pierre, gourmet et cuisinier à ses heures, l’invite pour un repas dont le menu sera aussi blanc que la robe de son invitée. La table est dressée, immaculée avec sa nappe sans un pli, porcelaine impeccable, cristaux et argenterie reflètent cette blancheur. Tout ceci suggère un moment festif et convivial. Pierre propose son menu : asperges au beurre blanc, blanquette de veau, fromage blanc, et chantilly.
Fraîcheur printanière
En plus d’être jovial, l’homme est disert et donne les origines des plats qu’il présente. « Savez-vous, dit-il, que l’asperge blanche, cousine éloignée du poireau, a un parcours très ancien. Originaire des pays de l’Est de la Méditerranée, elle est consommée depuis plus de 2 000 ans. Dans la Grèce antique, elle était considérée comme aphrodisiaque, Hippocrate l’utilisait pour soigner les diarrhées et les douleurs de l’urètre, les Romains pour ses attraits gastronomiques. Au Moyen Âge, l’asperge tombe dans l’oubli pour réapparaître aux XVIe et XVIIe siècles où elle est servie dans les cours royales et princières. Ce n’est seulement qu’au XVIIIe siècle qu’elle apparaît sur les marchés populaires.
Quant au beurre blanc, ce dernier est né d’un oubli d’ingrédients dans la sauce béarnaise. En 1890, Clémence Lefeuvre – au restaurant La Buvette de la Marine situé sur les bords de la Loire, à quelques kilomètres de Nantes – invente le beurre blanc en faisant une émulsion de beurre demi-sel et de vin blanc et quelques échalotes. Il est appelé aussi beurre nantais. »
Douceur crémeuse
Amenant le plat principal, Pierre reprend ses explications. « Dans les premiers temps, dit-il, la blanquette de veau était nommée ragoût de viandes en sauce blanche, obtenue en farinant les morceaux. Le nom fait honneur à la blancheur de la viande qui peut être aussi poulet, lapin ou agneau. L’origine réelle est imprécise mais en 1735, Vincent de La Chapelle est le premier à écrire la recette. À l’époque, il n’existe qu’une blanquette, celle de veau. Ce ragoût traditionnel revient à la mode, vanté par le commissaire Maigret, grand amateur de ce plat préparé par son épouse, ainsi que le commissaire San-Antonio raffolant de la blanquette de sa mère. »
Feu d’artifice final
Karine est subjuguée par la simplicité du repas et les connaissances de Pierre. Celui-ci présentant le fromage blanc avec deux coupelles l’une de fines herbes et l’autre de sucre, continue ses commentaires. « L’origine du fromage blanc remonte à la préhistoire, ajoute-t-il. Il est aussi appelé caillé, faisselle ou séré. Depuis Pline l’Ancien, il est désigné comme fromage mou par opposition aux fromages vieillis et durcis.
À la Renaissance, apparaît la caillebotte qui n’est autre qu’un morceau de caillé s’égouttant sur une étagère à claire-voie et la jonchée est celui mis à égoutter sur une claie de jonc. Il faut savoir qu’en argot fromage blanc est synonyme de “ Français de souche ” ».
La touche finale de ce menu blanc est le dessert. Un saladier de taille moyenne laisse apparaître un dôme de crème chantilly sur un lit de fraises des bois. Les papilles excitées à la vue de cette gourmandise, Karine prête une attention distraite aux paroles de Pierre. « Au XVIIe siècle, François Vatel serait à l’origine de cette crème, assure-t-il. Lors de ses fonctions à Vaux-le-Vicomte, chez le surintendant Fouquet, Vatel (1631-1671) pâtissier, traiteur, intendant et maître d’hôtel, avait inventé une crème fouettée, et l’aurait nommée crème chantilly après son entrée au service du Grand Condé au château de Chantilly. Mais antérieurement, les pâtissiers de Catherine de Médicis (1519-1589), fouettaient déjà la crème fraîche à l’aide de tiges de genêts. De nos jours, cette crème est vendue aux visiteurs du château de Chantilly. »
Pour accompagner ce repas insolite d’une seule couleur, un champagne blanc aux très fines bulles donne ainsi une touche de joie pétillante à cette journée de fête. Champagne qui, au XVIe siècle, eut un ambassadeur de renom, le bon roi Henri IV.
Claude Garetier