Clown, du talent et du travail
Alice Hachet, la co-fondatrice de la compagnie Le Théâtre du Chapeau installée à Bordeaux, explique comment et pourquoi elle est devenue clown.
Propos recueillis par Marion Stauri
Aux premiers mots, on sent la maîtrise dans la prise de parole et la posture mais aussi l'ouverture aux autres et l'authenticité. Accessible et avenante, Alice est à l'aise pour parler d'elle et de la compagnie qu’elle a fondée avec l’homme de sa vie, Patrick. On ne soupçonne pas qu'elle fut une enfant timide qui a su s’épanouir grâce au théâtre. Alice aime se mettre en scène mais également transmettre. Elle accompagne aussi les autres à se dévoiler et à jouer avec le nez rouge de rigueur !
— L’Observatoire. Choisir le métier de clown n’est pas anodin. Comment le devient-on ?
— Alice Hachet. Ce n'est pas anodin, non, surtout si on réussit à en vivre ! J'ai eu beaucoup de chance mais j'ai aussi su voir et suivre les petits cailloux qui balisaient mon chemin. Je suis tombée dans l’univers du spectacle toute petite : j'étais très timide et mes parents, qui voulaient que je sois plus extravertie, m'ont inscrite à un cours de théâtre lorsque j'avais 8 ans. Ça a été une révélation : sur scène, j'étais à ma place. En rentrant à la maison, j'ai prévenu mes parents : je voulais être comédienne. C'était une certitude tellement forte que je n'ai jamais douté. J'étais curieuse, j'avais confiance en moi et j'ai persévéré.
— Comment avez-vous débuté le jeu ?
— À 16 ans, j'ai rencontré Patrick qui faisait du mime. Nous sommes allés voir Licedei (troupe de clowns russes). Nous sommes tombés d'accord, nous voulions devenir clowns. Après une formation avec Bataclown à Toulouse et notre bac en poche, nous sommes partis jouer en Amérique du Sud où la culture du théâtre de rue est très forte. C'était du tout terrain absolu ! Cette période a été très formatrice. Nous avons parfois eu des bides et parfois des succès incroyables.
— Qu’est-ce qui distingue le clown contemporain du clown classique ?
— Le clown contemporain s’adresse aux adultes et le clown classique des cirques aux enfants. Le clown contemporain est un personnage politique qui porte un regard candide sur l'actualité et une vision impertinente du monde. Il s'adresse avant tout aux adultes.
— Comment avez-vous dépassé les échecs que vous avez rencontrés ?
— Nous étions jeunes et nous partions persuadés que ça allait être super ! Et parfois ça n'était pas le cas. Alors, on se disait : “on est nul, on est les plus mauvais du monde”. Mais surtout, on se remettait en question. On essayait de nouvelles choses. Et ça marchait. Petit à petit, on a compris la mécanique. On analysait et on progressait.
— Comment devient-on un bon clown ?
— Il y a le talent mais il faut surtout beaucoup de travail et de remise en question pour maîtriser la technique et la mécanique du clown. Il est important de se faire confiance, de suivre son instinct, de croire en soi et de persévérer.
— Pourquoi avoir choisi Le théâtre du Chapeau comme nom pour votre compagnie ?
— Lorsque nous sommes rentrés en France avec Patrick, nous avons fait notre premier spectacle au café des Arts, cours Victor Hugo à Bordeaux. Nous n’avions pas d’idée pour le tarif alors nous avons fait passer le chapeau.
— Avez-vous d’autres activités que les spectacles de clown ?
— Oui, nous proposons des ateliers et des interventions en entreprise.
— Pourquoi ne pas vous contenter de faire des spectacles ?
— Nous n’avions plus envie d’être sur les routes sans arrêt. Nous avions des subventions de la mairie et du Conseil départemental mais j’ai senti qu’elles allaient diminuer et nous voulions pouvoir nous en passer et être indépendants. L’idée était de continuer à faire des spectacles mais aussi de nous ouvrir à d’autres activités. Animer des ateliers pour tout public, du cadre dirigeant au SDF, nous permettait également de réfléchir sur notre métier, de le théoriser, d’amener à devenir comédien.
— Pouvez-vous donner des exemples d’intervention auprès d’entreprises ou d’associations ?
— En 2018, je suis intervenue dans une structure psychiatrique basque pour l’ensemble de ses 80 salariés afin de travailler autour d’un nouveau projet d'établissement. Je suis également intervenue pour le Conseil consultatif des personnes accueillies et accompagnées (CCPA) auprès de SDF pour les aider à exprimer leurs idées et défendre leurs droits.
— Pourquoi des ateliers de clown ?
— Nous sommes partisans de l'accessibilité du théâtre pour tous et nous aimons former tous les publics. Être exercé au jeu de clown ramène les gens à ce qu'ils sont, au-delà de ce qu'ils représentent. Ça fait du bien au cadre supérieur de se rappeler qu’il est humain et qu’il a des émotions. Quant à celles et ceux qui sont bruts de décoffrage, qui utilisent des mots de base et sont inaudibles elles/ils retrouvent confiance et apprennent à prendre la parole en public pour défendre leurs droits.
La compagnie Le Théâtre du chapeau
21 Rue Delord, 33 000 Bordeaux
www.theatre-du-chapeau.com
09 81 78 06 01