Pourquoi tant de haine?
« Parisien, rentre chez toi ! » Fin octobre, ce slogan peu amical a fleuri à Bordeaux. Blague de potache ou expression d'un vrai malaise ?
Violent, le slogan a plutôt scandalisé
On a tous dit un jour « Parigot, tête de veau, Parisien, tête de chien ! » mais de là à vouloir le bannir, il y a un grand pas franchi – étourdiment – par le FLBP (Front de libération de Bordeaux contre le parisianisme)
et exploité par les mécontents de tous bords.
Pavé dans la mare
Ah, la fausse bonne idée que cette Tour Eiffel se reflétant dans le miroir d'eau sur la carte de vœux d'Alain Juppé ! Bordeaux serait-elle devenue un satellite de Paris, une extension de la capitale ? C'en est trop, le mirage fait déborder le miroir et les autocollants rageurs apparaissent. Réaction indignée du Maire qui veut saisir la justice. Revendication des auteurs « c'est un magnifique attrape-nigaud pour une presse qui ne raisonne que par le buzz » et récupération médiatique. Mais l'attention est attirée sur le sujet de fond : l'inquiétude de bon nombre de Bordelais face à la gentrification et à la dépossession de leurs quartiers. Les plaisanteries les plus douteuses s'étalent sur le Net et c'est l'heure de gloire de la boulangère qui cloue au pilori l'acheteur de pain au chocolat. Mais de quoi ces débordements sont-ils l'écho ?
Ce qui fâche
C'est d'abord l'immobilier qui pose problème : hausse des prix, raréfaction des biens, pénurie de logements étudiants, éloignement obligatoire pour les primo-accédants. L'arrivée de la LGV fait du Parisien le bouc émissaire même s'il ne représente que 7,5 % des acquéreurs. Cadres à La Défense A.et S. n'en peuvent plus de contempler du 30e étage le smog qui recouvre Paris. Ils rêvent juste de respirer, disent- ils au notaire chez qui ils signent l'acquisition d'une maison dans l'Entre-deux-mers. Forts de leur pouvoir d'achat, ils n'ont même pas tenté d'en négocier le prix...
Et malgré une augmentation de 44 % en 10 ans, la flambée des coûts durera encore 3 ans, paraît-il. Et quid de la circulation ? Si les Parisiens
croient échapper aux bouchons, ils se trompent, vu l'état de la rocade aux heures de pointe. Là encore, ils portent le chapeau et gare à eux s'ils arborent une plaque 75 ou 92 ! Réflexion
rapportée par un Parisien qui demande à un groupe d'étudiants de se pousser pour garer sa voiture « ah, vous êtes 33, ça va ! »
La Réole se positionne pour récupérer les déçus
Le bon côté des choses
Le néo-bordelais est souvent un actif venu créer une petite structure tout en profitant de la qualité de vie du Sud-Ouest ou un employé délocalisé par une grande entreprise qui se réorganise. Ainsi, à Mérignac, Dassault embauche 70 personnes dont une majorité sera recrutée en partenariat avec l'Aérocampus de Latresne et délocalise de Saint-Cloud une centaine d'emplois tertiaires. « Mon client est ingénieur, dit Adeline S., agent immobilier, il n'a pas hésité à accepter sa mutation devant les facilités accordées par Dassault pour l'acquisition de sa maison! » Thalès aussi regroupe à Mérignac ses 2 600 salariés dont 400 viendront de la région parisienne. Betclic, site de paris en ligne, implante son siège social avec 150 emplois aux Bassins à flot et Ubisoft, géant mondial du jeu vidéo, crée un nouveau studio car il est intéressé par la proximité d'établissements universitaires appropriés pour le recrutement d'une quarantaine de nouveaux collaborateurs. Hermès, lui, va créer à Saint- Vincent de Paul une manufacture qui emploiera 250 selliers-maroquiniers formés aux savoir-faire d'excellence de la maison dès 2018 à Ambarès. Bien sûr, ce millier de postes créés ne sera pas réservé aux locaux, mais c'est autant de familles qui vont par « ruissellement » générer des emplois induits et une hausse de la consommation bénéfique à la Métropole si elle sait se montrer dynamique et ouverte aux nouveaux venus. Certains d'entre eux, plutôt quadras, se sont regroupés au sein de l'association Les Parisiens de Bordeaux et s'approprient leur nouvelle ville en découvrant bars et restaurants mais pas seulement. Ils ont rendu hommage à leur nid d'accueil et à la mobilité heureuse par la réalisation du NUN* qui abritera des expositions d'abord au Jardin Botanique puis ailleurs dans la ville. Ce beau symbole d'ouverture suffira-t-il à faire taire les grincheux ? On peut en douter mais, attention, d'autres villes comme Tours, Agen, Libourne tendent ouvertement les bras aux Parisiens qui pourraient bien s'installer là où ils sont désirés...
Claudine Bonnetaud
*Nid urbain nomade