Lanceurs d'alerte
« La Garonne et la Dordogne sont sous influence océanique et depuis 40 ans leur débit diminue, leur eau se réchauffe, on constate la disparition des poissons migrateurs » alerte Éric Veyssy.
Par Pierrette Guillot
Éric Veyssy, directeur de Terre et Océan, médiateur scientifique et culturel « Fleuve, eau, climat » a contribué à la construction de l’Aquaforum, une maison en bois (sur pilotis pour se préserver des inondations), un outil pédagogique au service de Terre et Océan. De nombreux scientifiques ou historiens, comme l’archéologue Didier Coquillas, étudient fleuves, sols, climats et informent scolaires et grand public sur leur évolution.
Les activités de Terre et Océan sont multiples : études de l’eau, des sols, du climat, de l'océan, des fleuves, du monde littoral, de la géologie et biodiversité ainsi que de la préhistoire. Mais aussi découverte des sciences et de l’histoire des environnements sous forme d’ateliers, balades, conseils, croisières, rédactions, publications, clubs nature, documentaires, cours et formations, actions pédagogiques, comme à l’Université du temps libre de Bordeaux.
— L'Observatoire : Pourquoi la Garonne est- elle en danger ?
— Éric Veyssy : Depuis quarante ans, on constate en hiver de fortes crues, en été, un faible débit de la Garonne et l’augmentation de plus de deux degrés de l’eau du fleuve à Bordeaux, sans oublier les pollutions abondantes aux abords des villes.
Le bassin de la Garonne présente le plus grand déficit hydrique (baisse de 20 % depuis 1984). La zone estuaire comprend l’embouchure incluant la Gironde, la Garonne aval (Bordeaux-Langoiran -Cadillac) et la Dordogne aval (Bourg-Libourne-Castillon) dans laquelle se fait sentir la marée. C’est là que se forme le bouchon vaseux. Il est constitué de matières minérales et organiques, c’est un phénomène naturel, défini par la concentration entre l’écoulement des fleuves et la marée océanique. La salinité de l’eau accroit la floculation1.
— En quoi le bouchon vaseux est-il une zone d’amplification des risques ?
— Le bouchon vaseux est plus longtemps présent, plus étendu et plus concentré depuis quarante ans. Il remonte à cause de la baisse des débits fluviaux et du niveau marin qui augmente de 15 cm par siècle. Dans les eaux sombres du bouchon vaseux et dans la crème de vase qui se dépose au fond, les matières organiques sont dégradées par l’activité bactérienne consommatrice d’oxygène. Ces chutes d’oxygène affectent les poissons migrateurs. L’extraction des graviers dans le lit de la Garonne a accentué le phénomène des dépôts de vases.
— Quelles solutions sont possibles ?
— Des changements radicaux sont nécessaires pour une acclimatation qui permettrait la régénération de la capacité biologique de l’estuaire et la survie des professionnels de la pêche ancestrale. Il y avait 1 000 pêcheurs autrefois il en reste seulement 35 de nos jours.
Il faut favoriser l’infiltration des pluies pour recharger les nappes phréatiques, réduire les prélèvements, laisser les nappes alluviales se recharger et limiter ainsi les rejets de contamination chimique et organique, améliorer l’épuration des eaux usées de la métropole bordelaise.
— Pourquoi Bordeaux est-elle un exemple mondial pour la gestion du risque d’inondation notamment en cas de très fortes précipitations ?
— Bordeaux, comme toute ville, a trop de sols imperméabilisés et beaucoup d'eaux pluviales ruissellent. Elle reçoit une pluviométrie océanique : pluies longues en hiver et orages violents en été. Il y tombe 900 mm de pluie par an. Ces 20 dernières années, en lien probable avec le changement climatique, on observe des intensités de pluie en pointe de plus en plus forte. En juin 1982, la Métropole a connu des orages et inondations exceptionnels, de même en 1992 et 2012. En 2023, lors du débordement de la Garonne le matin du 11 novembre, il a été mesuré une crue de 6,73 m, le record étant de 7,25 m. (source : « Sud Ouest »).
Des décisions majeures ont été prises : création de bassins d’étalement, stations de pompage et un télécontrôle de gestion centralisée et opérationnelle sept jours sur sept. En trente ans, un milliard d'euros de travaux ont été réalisés et ces mesures ont servi d’exemples pour les grandes agglomérations, sur tous les continents. (Djakarta, Venise, Bangkok...)
Par toutes les actions d’informations, comme les séances pédagogiques à l’Aquaforum ou sous forme de conférences et de magazines, Terre et Océan sensibilise les jeunes, mais aussi le grand public aux conséquences des changements climatiques.
1 la floculation : processus physicochimique au cours duquel des matières en suspension dans un liquide s’agglomèrent pour former des particules plus grosses.
L’archéologie de la pêche en Garonne entre Préhistoire et Moyen Âge.
L’archéologue Didier Coquillas a donné rendez-vous à l’Aquaforum, situé en bord de Garonne, à Bègles, pour participer à l'atelier consacré au thème de l’archéologie de la pêche.
Passionné et passionnant, il anime cette activité de deux heures trente, devant six jeunes d’une dizaine d’années. Il pose cette question : Comment savoir quels poissons existaient dans la Garonne ? Comment prouver qu’ils étaient pêchés et mangés ?
Il y a plusieurs possibilités. En fouillant dans les « poubelles », on peut découvrir des arêtes qui permettent de les identifier : les saumons étaient les plus nombreux (47 %), mais aussi les aloses, et des coquillages qu’on ne consomme plus actuellement car trop pollués. On a retrouvé également des dents de lamproie.
On a aussi d’autres sources d’information comme certaines représentations qui témoignent de l’existence des poissons : ils sont dessinés sur des cailloux ou dans les grottes, visibles sur les pavements à l’époque romaine. On peut affirmer la présence d’anguilles, d’esturgeons (qui vivent jusqu’à cent ans, mais ne doivent plus être péchés actuellement).
Didier Coquillas propose d’aller voir et toucher les outils de pêche très rudimentaires dont certains sont encore utilisés : des hameçons de toutes tailles en os, des couteaux en silex, des harpons pour la pêche à la baleine trouvés en Dordogne mais interdits depuis 1982. Même les « aiguilles » qui se placent en travers de la bouche des poissons et déchirent les proies sont toujours autorisées actuellement ! Il y a aussi une reconstitution de canne à pêche avec du fil de chanvre ou obtenu avec les tiges des orties, réalisée par des enfants, durant un atelier.
Tout à côté de l’Aquaforum, la sortie nature, en fin de séance, permet de voir des carrelets sur les bords de Garonne.
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