Tragédies dans le désert
Départ en patrouille dans le désert(photo de C. Mazhoud)
Traverser la Méditerranée et découvrir le Sahara à 20 ans, quelle séduisante perspective mais le rêve peut virer au cauchemar.
En Algérie, pacification ou bien guerre ? C’est l’interrogation des appelés du contingent, l’un d’entre eux, Claude Mazhoud, évoque pour L’Observatoire l’année 1961 et témoigne de cinq mois qui comptent dans sa vie.
Comme un avion sans ailes
« Edjeleh, 10 mai 1961. Au 3e GSM1 depuis le 20 mars, je m’acclimate à la chaleur accablante dans le Grand Erg oriental, à deux pas de la Lybie. Les débuts sont agréables, chasse à la gazelle, contacts cordiaux avec les pétroliers, malgré la menace aux frontières tunisienne et libyenne. Le calme est rompu par le message d’un avion en détresse au-dessus du plateau de Tinhert, à 200 km. Le lieutenant Zuber est le premier sur les lieux avec sa patrouille de recherche, la deuxième patrouille dont je suis, arrive aussitôt avec la Légion étrangère. Le Super Constellation d’Air France, Brazzaville - Paris s’est écrasé au sol, les 69 passagers et les 9 membres d’équipage ont péri. L’avion s’est cassé en plein vol, l’empennage arraché. Selon les experts, l’éclatement de l’empennage résulte d’une explosion de nitrocellulose, ce serait un attentat. Des billets de banque volent au vent, une odeur épouvantable, décuplée par la chaleur, se dégage de l’épave. Parmi les victimes, deux ministres africains, ce qui nous attriste le plus, c’est le tragique destin de l’hôtesse de l’air, Denise Chiapolino qui devait se marier dans huit jours.
12 mai. 78 cercueils alignés sur le terrain d’aviation d’In Amenas sont bénis par un aumônier, des pelletées de sable seront versées dans certains cercueils « pour faire le poids ».
13 mai. Retour sur Edjeleh dans un silence… de mort, l’immensité du désert me fait peur
Une borne très convoitée
Le triangle-borne 233 algéro-tuniso-lybien à Fort-Saint recouvre un périmètre pétrolier de 20 000 km2. En 1961, le président Bourguiba revendique ce territoire et après la crise de Bizerte, envoie des volontaires pour y planter le drapeau tunisien. Le 3e GSM qui assure la protection de la région et escorte convois et liaisons se situe dans la zone briguée.
20 juillet. Départ du camp TM2 pour la frontière libyenne, à la nuit tombante nous roulons tous feux éteints, le calme trompeur est rompu par des tirs nourris, la ridelle de notre 6x6 vole en éclats, à l’arrière du véhicule je plonge dans les jerrycans. Miranda, mon copain ne répond pas à mes appels, il ne reverra pas Bellac et la Haute-Vienne. Nous venions d’entrer à Ghadamès, oasis libyenne et camp de repos du FLN ! Les quatre Dodge se replient sur Fort-Saint, FM2 et mitrailleuse de 30 en batterie pour la nuit. Quand le jour se lève, des centaines de silhouettes s’agitent sur les garas3 qui surplombent les dunes, nous sommes encerclés. Il fait 50° C, on nous tire dessus avec des balles traçantes. Mayeux, notre chauffeur breton est touché mortellement. Mon FM2 s’est enrayé, mon approvisionneur s’est enfui, il faut sortir du guêpier sous le feu d’un mortier. La situation est critique, on alerte Edjeleh. Et les B26, bombardiers de Bône, surgissent dans le ciel, paras et légionnaires interviennent au sol. C’est l’hécatombe chez les assaillants, tous des volontaires tunisiens, le tireur au mortier abattu est une femme.
23 juillet. Retour au camp TM2, derniers honneurs aux camarades Miranda et Mayeux. On nous a dit : « Nous ferons de vous des hommes ! ».
Le piège fatal
11 octobre. Au TM2, l’adjudant-chef Dorrer conduit notre patrouille. Les treillis sont de sortie car les nuits sont fraiches, la décontraction est de mise entre les imposantes garas. Soudain une terrible explosion, devant nous le dodge vient de sauter sur une mine terrestre. Le chef de peloton gît à terre, la jambe droite déchiquetée, pas de trousse de secours, aucun détecteur de mines. L’alsacien, encore lucide, nous tend son portefeuille : « Pour ma femme », le grand blessé est évacué par hélicoptère. Peu après, un appel radio laconique nous apprend le décès d’Etienne Dorrer, 35 ans. Son ami, le maréchal des logis Bogni lève le poing et hurle : « Salopards ! »
C’est le cri de la grande muette, il résonne encore dans ma tête ! »
Claude Mahzoud
1 GMS : Groupe saharien motorisé
2 garas : falaises
3 FM : fusil-mitrailleur
Machoire de chameau sur l'insigne du 3eGSM