L'hiver d'un vigneron
Après l'excitation des vendanges, vient le temps du labeur discret dans le chai et le travail répétitif dans la vigne.
Les vendanges passées et le jus devenu vin, l'hiver s'est vite annoncé. Vincent, vigneron blayais n'a pas trop que ces trois mois pour être au chai et à
la vigne à préparer le printemps et le nouveau millésime.
Miser sur la qualité
Vincent se souvient avec tristesse et amertume de ce matin d'avril où, comme tant d'autres, il a découvert ses vignes gelées dans toutes les parcelles basses « aussi fort qu'en 91 » selon les anciens.
Peu d'espoir alors que les feuilles tendres ne soient pas grillées et que les bourgeons repartent... il va falloir se concentrer sur ce qui reste et en tirer le meilleur. Verdict en octobre : 30 % de récolte seulement mais des raisins de qualité et un jus concentré et aromatique plein de promesses.
Novembre, à fond, presque nuit et jour, ne rien lâcher, surveiller la température des cuves, soutirer, remonter, suivre la fermentation alcoolique puis la fermentation malolactique. Dans un souci d'économie et de réactivité, Vincent a appris à interpréter les analyses chromatographiques qu'il pratique lui-même et fin novembre il peut se réjouir « Les malos sont finies, je vais pouvoir lever le pied, une petite semaine, au moment de Noël ! J'en profiterai aussi pour faire le tour des différentes compagnies et décider si je souscris une assurance gelée pour 2018. »
Faire fructifier ses efforts
Cuves et barriques pleines vont attendre les choix d'assemblage de janvier qui détermineront les quantités proposées dans les différentes qualités. C'est le fruit de minutieuses dégustations et de savants arbitrages entre l'œnologue et le vigneron pour respecter le goût maison mais aussi s'adapter, peu ou prou, à l'évolution des attentes de la clientèle.
Vincent connaît maintenant les volumes qu'il proposera en rosé, rouge qualité courante et cuvée prestige, vieillie en fût de chêne. Il va procéder au soutirage d'assemblage et se consacrer ensuite à l'embouteillage du millésime 2016. Après collage et soutirage, c'est vers le négoce que partira 60 % de sa production, mise en bouteille à la propriété à l'aide de son installation personnelle car il ne vend pas en vrac. Il constitue aussi un stock pour sa clientèle particulière qu'il sollicite par mailing, lors d'animations ponctuelles comme des foires en Normandie ou par réseau entretenu par un courtier. Mais il sait aussi chouchouter ses clients de passage...
Bien accueillir
Le Château Puy Beney Lafitte est depuis cinq générations dans la famille de Vincent, bien connue pour son hospitalité et parmi les clients, on compte des fidèles depuis 50 ans ! Toujours bien accueillis, ils viennent de tous les coins de France ou de l'étranger pour des vacances dans le Sud-Ouest et chaque année font halte à Mazion pour goûter la nouvelle production et repartir parfois avec une centaine de bouteilles. Aussi Vincent a-t-il réhabilité la vieille forge de 1670 pour en faire une salle de dégustation. Il y a regroupé quelques outils anciens et installé comptoir, tables et chaises uniques en leur genre car ce sont des créations originales d'un voisin retraité, imaginatif et doué de ses mains. Dans le pur esprit art et récup', James B. utilise des douelles et des cercles de barrique pour réaliser un mobilier esthétique et confortable dont il fait profiter ses amis. Cependant, même s'il doit parfois sacrifier aux « verres de contact », comme disait Antoine Blondin, Vincent ne passe pas son temps dans sa forge mais plutôt sous son hangar à entretenir ou réparer engins et tracteurs. L'hiver est aussi le moment des travaux dans le chai lui-même : révision des pompes et des cuves, mise aux normes du rejet des effluents vinicoles... Quand une pluie permanente interdit de travailler dehors, on trouve toujours à faire à l'abri, mais point trop n'en faut car la nature n'attend pas et la vigne réclame ses soins.
Se donner de la peine
« Taille-moi avant que je pleure, pioche-moi avant que je bourgeonne, bine-moi avant que je fleurisse et je te ferai boire du bon vin » exige la vigne, aujourd'hui comme hier malgré quelques changements. Traditionnellement, la taille commençait après le 22 janvier, date de la Saint-Vincent, patron des vignerons. Les réjouissances passées, on s'attelait en escouades, serpette ou sécateur en main, à cette interminable besogne où il faut avoir le coup d'œil rapide et affûté pour couper les bons sarments au bon endroit par tous les temps. Maintenant, malgré le dicton « taille tôt, taille tard, mais taille en mar(s) », l'opération commence en décembre. Elle est devenue moins longue et moins pénible grâce au sécateur électrique, cher mais rentable. Chez Vincent, 4 à 5 personnes, spécialement recrutées, viennent à bout d'environ 650 000 pieds sur 16 ha en six semaines. Travail un peu plus difficile cette année où les parcelles gelées avaient été laissées en l'état mais qui ont produit du bois qui sera tiré puis broyé ou brûlé. Après la taille, les différentes façons vont s'enchaîner : plier, attacher, remplacer les piquets et les fils de fer défectueux...
En attendant le débourrage, fin mars, en principe, le sol sera lui aussi travaillé : désherbage mécanique ou chimique, aération de la terre,
décavaillonnage pour un labour délicat au pied des ceps. Et surtout, ne pas se laisser déborder par la nature malgré les aléas climatiques, être
partout sans pour autant négliger les contacts avec les voisins et les collègues.
Vincent et les autres...
Entre sa propriété, où il est le seul permanent, et sa famille, Vincent fait de longues journées et prend peu de vacances. Néanmoins, sa profession très réglementée, son appartenance à un terroir et à une corporation l'obligent à fréquenter un minimum ses pairs. Il y a les voisins à qui on donne un coup de main, les dégustations à QualiBordeaux une fois par mois, les contacts avec le syndicat professionnel pour le devenir de l'appellation, l'occasion de râler contre l'accumulation des normes, par exemple... Mais sur un territoire quasi sinistré, l'union fait la force de ces 450 vignerons qui s'accrochent à leur outil de travail. Les 8 et 9 février, dans le cadre de Blaye au comptoir, ils sont allés dans les bars, les caves, les restaurants pour faire découvrir aux Bordelais leurs vins de caractère d'un excellent rapport qualité/prix. Une bonne occasion de se faire plaisir tout en donnant un coup de pouce à des producteurs exigeants et motivés.
Claudine Bonnetaud
(Photos M. Depecker et C Bonnetaud)