Une saison en enfer ?
Emprunter ce titre à Arthur Rimbaud est le signe manifeste que l’hiver s’ancre depuis des siècles dans un imaginaire inquiétant avec la peur d’entrer dans un monde hostile quand « la bise fut venue ».
Dans la ronde des saisons initiée par L’Observatoire, comme dans les Quatre saisons de Vivaldi où, après le printemps, l’été et l’automne, l’inverno est devenu le concerto n°4 en fa mineur, le journal a respecté cet ordre pour rencontrer le général Hiver. Allait-il s’en formaliser ? Frissons garantis.
— L’Observatoire : Général Hiver, quelle est l’origine de ce titre militaire ?
— L’Hiver : Je dois ce nom à mon influence climatique dans les déroutes des armées de Charles XII de Suède, de Napoléon et d’Hitler, en Russie.
— Sans vouloir vous offenser, parler de vous, c’est évoquer votre cortège de vent, de froidure et de pluie.
— Et puis la neige, le verglas, les tempêtes, etc. Que de clichés utilisés à mon encontre ! On m’identifie à la vieillesse, on me raille, « sentir le sapin », « il ne passera l’hiver », « être givré », « habillé pour l’hiver », ignorant mon côté ludique. Je pense aux batailles de boules de neige, aux scènes de patinage, de luge, aux Jeux olympiques d’hiver. Sans eux, qui connaîtrait Jean-Claude Killy ?
— Souffrez-vous du réchauffement climatique ?
— Ce phénomène me bouleverse car il peut, à brève échéance, me faire disparaître. Ainsi, François Villon était dans le vrai quand il s’inquiétait : « Mais où sont les neiges d’antan ? ».
— La période hivernale parait durer plus longtemps que les autres saisons.
— Louis Aragon disait : « Celui qui croit pouvoir mesurer le temps avec les saisons est un vieillard qui ne sait pas regarder qu’en arrière ». Or, le froid, l’obscurité, le silence préservent les forces vitales de la nature pour un nouveau départ. Il faut toujours un hiver pour bercer un printemps et quelle flamme pourrait égaler le soleil d’un jour d’hiver ?
— Vous nous réservez souvent des printemps pourris…
— Le printemps ! Voilà une saison geignarde qui m’a traité de vieux barbon dans votre numéro d’avril 2017. Ne retarde-t-il pas parfois l’été qui lui-même fête la Saint-Martin en automne ?
— Pensez-vous que Noël sauve votre saison ?
— Enfin un éclairage positif sur cette fête païenne et religieuse, merci encore aux Américains et à Santa Claus. Ainsi une légende des pays froids, le père Noël, a surgi dans un décor de carte postale avec les rennes, le sapin, la neige. L’esprit de Noël, c’est la fête des enfants, les marchés de Noël, l’hospitalité et l’entraide quand des SDF souffrent. Vous êtes restrictif quand vous occultez le Jour de l’an, les couronnes briochées de l’Épiphanie, les crêpes de la Chandeleur, mes amoureux de la Saint-Valentin, les spectaculaires carnavals !
— Le corps médical redoute les assauts de la grippe et des bronchites durant votre passage.
— Le plus souvent, on regrette quelques lèvres gercées ou des nez qui coulent, admettez pourtant que mes basses températures diminuent tension, fatigue et humeur négative, les plus grands scientifiques scandinaves en témoignent.
— Et sur le plan de la nourriture ?
— Je suis la saison gastronomique, celle du pot au feu, du vin chaud, celle où l’on tue le cochon. Un vieux proverbe ne dit-il pas : « En hiver, le dos au feu, le ventre à table ». Vous osez parler de saison en enfer quand la vie de famille retrouve ses droits, quand loto, jeux de cartes, rougeoyantes flambées dans l’âtre réunissent tant de gens que sépare la frénésie de l’été. J’ai même des fleurs à vous offrir : roses de Noël, perce-neige et autres jacinthes.
— Pour conclure, quel conseil donneriez-vous pour passer un bon hiver ?
— Je reprendrais la formule du poète belge Henri Michaux : « Faute de soleil, sache mûrir dans la
glace ! » et je laisserais méditer sur ces mots de Yasmina Khadra : « Si l’existence n’était qu’un chant d’été, personne ne saurait combien la neige est belle en
hiver ».
Claude Mazhoud