Un pied de nez rouge
Jongler au quotidien entre rire et émotion, pour créer des liens et soulager les patients, telle est l’ambition des clowns hospitaliers.
par Alain Laffitte (Photos : Les Clowns Stéthoscopes.
L’association Les clowns stéthoscopes intervient auprès des enfants au CHU de Bordeaux, au CH de Libourne mais aussi, depuis 2011, dans divers EHPAD de la Gironde. Tout au long de l’année, onze clowns professionnels se relaient pour apporter sourires, émotions et rêves au pied des lits.
L’effet miroir
Qu’ils soient clown blanc, auguste, contre-pitre ou excentrique ou bien tous ceux-là à la fois, ils ont quitté la piste, les paillettes et les sunlights pour l’ambiance plus feutrée des chambres d’hôpital ou d’EHPAD. Dans leurs bagages, toujours les mêmes ingrédients : une pincée de naïveté, un doigt de poésie, une grande cuillerée d’imagination, sans retenue ni à priori, ainsi qu’une énorme louche de sincérité. Grâce à cette capacité d’exprimer, sans filtre, leurs émotions mais aussi leur fragilité, leurs ratages et leurs gaffes, ils ouvrent « de formidables portes d’entrée en relation, par effet miroir, avec des personnes en situation de grande vulnérabilité ». Car, comme le disait Peter Bu, théoricien du mime et autres formes théâtrales, récemment disparu, « Le clown est un acteur qui possède parfaitement ses moyens tout en faisant semblant de ne rien maîtriser. Il parait idiot, laid ou même mal formé, il bouge mal, il laisse tout tomber... » C’est cela « l’effet miroir ».
Pour Miss Mi, à la fois clown et coordinatrice de l’association « Être clown en milieu hospitalier, c’est défendre une vision humaniste et politique du prendre soin ». Et d'ajouter « Voilà pourquoi j’aime ce métier, parce qu’il me fait vivre des moments intenses et précieux, qu’il remet mes pendules à l’heure. »
Même s’il improvise à longueur de journée, pour s’adapter aux différents patients et parce que chaque rencontre est unique, le métier de clown hospitalier ne s’improvise pas. Il nécessite d’avoir son diplôme de clown ou une expérience validée par la VAE1 puis de suivre diverses spécialisations au travers de la formation continue avec des critères de qualité précis et reproductibles.
Ainsi, tous les trois mois, une journée de formation est organisée. Elle permet d’améliorer les compétences du jeu de clown comédien mais aussi et surtout d’acquérir de nouvelles connaissances en lien avec les établissements de soins. En effet, pour exemple, comment appréhender les tentatives de suicide chez les ados si on ne vous a pas expliqué au préalable, quelles peuvent en être les causes, ce à quoi il faut être attentif, ce sur quoi on peut rebondir pour créer le lien ?
Un nez rouge pour barrière
Une autre spécificité du métier de clown en milieu hospitalier est la nécessité d’être suivi, à minima une fois par mois, par un psychologue. Travail en groupe ou individuel pour, comme le dit Miss Mi « partager entre nous les vécus et accepter de vivre tout ce qu’on vit en sachant qu’on a des garde-fous et qu’on peut ainsi aller vers des situations complexes. » Car la seule barrière dont dispose le clown, lorsquil intervient, soignants qui doivent se protéger en développant l’empathie, le clown ne peut pas faire abstraction de ses émotions, sauf à s’être trompé de métier. La Fédération française des associations de clowns hospitaliers, dont font partie Les clowns stéthoscopes, est particulièrement attentive à ce suivi individuel permettant de garantir le professionnalisme, la régularité et la continuité des actions. Loin d’être un frein au travail du clown hospitalier, ces contraintes lui permettent de libérer ses émotions, de ne penser qu’à la façon de les transmettre au mieux afin de créer avec le patient ce lien indéfectible, et pourtant, si souvent rompu par les aléas de la vie.
Un autre regard
Au cœur des services, en amont de l'improvisation clownesque, se met en place un partenariat très étroit avec les soignants. Les transmissions sont rigoureuses, elles permettent d’intégrer à leurs jeux l’état émotionnel, l’humeur, le contexte familial et d’agir ainsi sur des leviers différents, d’humaniser le soin. Pour chacun d’eux un thème est défini (jeu, chanson, poésie...) en collaboration avec l’équipe soignante, qui peut ainsi le poursuivre après le départ des clowns ou l’anticiper avant leur prochaine visite. En fin de séance, elles permettent de poser, pour l’équipe soignante, un autre regard sur les besoins, les attentes des patients. Bref, de les voir autrement. Chaque intervention se fait en duo afin d’enrichir le jeu et l’interaction mais aussi pour permettre aux comédiens de ne pas affronter seuls certaines situations parfois difficiles. En outre, ce tandem favorise le partage des ressentis et l’analyse du contexte. Il est du reste impératif de prendre un temps de débriefing à la fin de chaque séance.
Les rendez-vous doivent impérativement s’inscrire dans la continuité. Dès le départ, le rythme hebdomadaire a été adopté (sauf parfois en EHPAD pour des questions budgétaires). Il permet de rester en éveil, de susciter une impatience raisonnable de la part des patients, de pouvoir suivre leur évolution. À la demande même des soignants, mais sans jamais déroger au secret professionnel, Les clowns stéthoscopes s’intègrent naturellement dans le parcours de soin.
Un petit truc en plus
La plupart des clowns de l’association interviennent à temps partiel car la charge émotionnelle est trop importante et ils doivent impérativement « se nourrir » de leur vie extérieure, de leurs rencontres, de leurs passions pour pouvoir transformer ces expériences en émotions (la majorité ayant une autre activité, toujours en rapport avec le spectacle vivant). Ce n’est donc pas un métier tout à fait comme les autres. On ne démarre pas sa vie professionnelle en décidant de devenir clown hospitalier. Il faut un peu de « bouteille ». La plus jeune, Kalam, a 34 ans, le plus vieux, Bitonio, 59. Besoin aussi d’un petit supplément d’âme, d’un petit truc en plus car « pour qui sait le décrypter, tout est matière, tout s’invente, s’écrit et se renouvelle en permanence ». Et comme le dit la devise des Clowns Stéthoscopes « Ensemble, faisons un pied de nez à la maladie »
Lorsqu’on demande à Chouia, Ketchup, Rascasse et tous les autres comment définir, en un mot, leur action on trouve pèle-mêle et parmi beaucoup d’autres : « parenthèse enchantée, rire, fil conducteur, libérer l’imaginaire, apaiser... et pour finir... distribution de confiture de mots doux.
Alain Laffitte
1 VAE : Validation des acquis de l’expérience. Depuis huit ans, le métier de clown est reconnu par Pôle emploi (Métier L 1204 - Arts du cirque et arts visuels)
http://www.lesclownsstethoscopes.fr/
Action des Clowns Stéthoscopes en Gironde
L'asociation, identifiée "Culture et santé" répond à des appels à projets pour se financer.
En 2021 (malgré la Covid) : dans les services de pédiatrie, oncologie et cardiologie enfants
101 visites en duo, plus de 2 500 rencontres avec les enfants, leurs proches et les soignants
Depuis 2018 : EHPAD Bon Secours, Manon Cormier, Le Platane, Les Doyennes, 390 interventions en duo, plus de 5 500 interactions
Depuis 2020 : EHPAD Fontaudin, Home Marie-Curie, Les Jardins de l’ Alouette, 25 interventions en duo, 320 interactions
Les Clowns Stéthoscopes font partie de la Fédération française des associations de clowns hospitaliers (FFACH) qui dénombre au niveau national
21 associations, 330 clowns comédiens, 105 000 enfants visités en moyenne par an, 13 000 seniors visités en moyenne par an, 150 lieux d’intervention, deux centres de formation (Paris