Peupliers de Garonne
Arbres rustiques, modestes mais libres, aujourd’hui domestiqués.
Depuis une vingtaine d’années, sur les rives de la Garonne riches en alluvions se sont développées de vastes futaies de peupliers plantés au cordeau, alignés comme des bataillons. Hier, cet arbre essaimait librement au gré du vent, aujourd’hui il vit plutôt en rangs serrés dans de vastes peupleraies pour répondre aux besoins économiques de la région.
Un arbre populaire
Son nom vient du latin populus comme le peuple. C’était un arbre de tous les jours, un arbre de toutes les campagnes. Au gré de la brise, les graines volaient et venaient boiser les berges des rivières aux côtés des aulnes et des saules. Familiers du regard, les peupliers façonnaient le paysage des vallées. Ils marquaient les alignements des chemins, des prés et des ruisseaux, signalaient la présence d’un cimetière ou d’une source. Les anciens, dès l’Antiquité, confectionnaient des remèdes et des onguents avec la sève, les racines et l’écorce. Même les bourgeons étaient transformés en vin tonique. Les paysans utilisaient son bois pour construire des charpentes ou des cloisons d’écuries, pour fabriquer des sabots ou des brouettes et allumer le feu. C’était l’arbre de la liberté et du peuple, érigé comme symbole de la République lors des révolutions de 1830 et de 1848.
Une activité économique
Aujourd’hui son bois clair, souple, fibreux, facile à fendre reste très populaire, on en fait encore des allumettes, de la pâte à papier, des boîtes de fromage mais surtout des cagettes pour les maraîchers et par déroulage en fines feuilles de bois, du contre-plaqué. Aux côtés des peupliers sauvages qui jouissent encore de leur liberté, d’autres sont désormais domestiqués pour être plus productifs et répondre à la demande industrielle. De Bordeaux à Toulouse, le long de la Garonne qui assure une bonne alimentation en eau, des peupleraies d’essences hybrides sont donc cultivées pour obtenir du bois d’œuvre. Le sud ouest, première région productrice, détient environ 25% des peupleraies françaises. Le climat y est favorable : chaleur et humidité en profondeur. D’autre part, le vieillissement de la population provoque la déprise agricole, abandon des terres cultivées souvent transformées en forêts par les paysans eux-mêmes ou par leurs héritiers car sinon elles deviennent des friches. Enfin le peuplier remplace les autres cultures comme le maïs quand elles sont moins rentables. C’est un arbre à croissance rapide, il faut entre 16 et 20 ans environ pour qu’il arrive à maturité et les travaux de préparation du sol, de plantation, d’élagage, d’entretien de la terre sont désormais mécanisés. Toute la filière bois est présente en Aquitaine mais les débouchés sont encore insuffisants pour absorber toute la production en partie exportée. Cependant deux usines de déroulage sont en cours d’installation à côté de Marmande pour se rapprocher de la ressource : Xylofrance, financée par un groupe italien et des coopératives de sylviculteurs et Garnica, filiale d’une entreprise espagnole.
Le peuplier est donc à la source de toute une chaîne d’activités, pépiniéristes, populiculteurs (planteurs), exploitants forestiers, industriels. Il peut concurrencer les bois exotiques ou les matières plastiques. C’est une ressource renouvelable qui participe au maintien de la forêt française et qui laisse espérer des créations d’emplois dans la région.
Une culture contestée
Il est en effet accusé de tous les maux par les écologistes ou les amoureux de la nature. Selon eux, les vastes peupleraies défigurent le paysage, réduisent les habitats naturels des bords d’eaux, assèchent les zones humides, menacent la biodiversité et polluent le sol par les engrais utilisés. Pour les populiculteurs, ces critiques sont excessives. Au contraire, les peupliers filtrent les eaux polluées par d’autres activités, freinent les courants de crues dans les zones inondables, réduisent les friches et réclament finalement beaucoup moins d’engrais (un peu au démarrage de la croissance) que d’autres cultures comme le maïs.
Si les peupliers deviennent des bois d’avenir, il faut souhaiter qu’ils ne colonisent pas tout le bassin de la Garonne et que les planteurs respectent le plus possible la nature.
Marie Depecker