Escale de l'amitié
Aucun moral chancelant ne saurait résister à Denise Leydet et aux mercredis après-midi de la salle Marcel Lachièze.
La vieillesse est souvent un sujet triste et déprimant, pourtant ce n’est ni une débâcle ni un âge d’or. C’est un âge aussi riche et digne d’être vécu que tous les autres. Le Club Amitié du Vigean d’Eysines qui vient de fêter ses 30 ans en a fait son crédo.
Plus jamais seuls
Il n’y a vraiment que l’incorrigible Gilbert Bécaud pour considérer que « la solitude, ça n’existe pas » quand on sait que la proportion de personnes âgées vivant seules est trois fois plus forte qu’en 1962. Quatre femmes sur cinq de plus de 75 ans seraient dans cette situation, de plus la solitude multiplierait par deux le risque de développer la maladie d’Alzheimer. La cinquantaine de membres du Club Amitié du Vigean a su juguler cette fuite monotone et lente du temps qu’est la vieillesse sous la houlette bienveillante de Josette Bonadéi de 1986 à 2004. Depuis, Denise Leydet, ancienne secrétaire de la Compagnie électrique de mécanique, une épatante dame de 87 ans tient les rênes d’un club qui a compté jusqu’à 200 adhérents à la fin des années 1980, mais le livre se ferme toujours sur un visage perdu nous dit Edmond Jabés. Si Denise regrette : « Les hommes sont une espèce en voie de disparition, seulement une dizaine fréquente la salle », elle déplore surtout la défection de la génération de retraités entre 60 et 70 ans, « ils bougent beaucoup, sont autonomes et redoutent la cohabitation avec les plus vieux ! »
Il est vrai que ces joyeux papis et mamies, vigoureux et insouciants, adeptes du camping-car, sillonnent la planète en voyages organisés et qu’ils s’avèrent d’excellents consommateurs pour le plus grand bien de l’économie nationale. Ces seniors mettent à mal les jugements lapidaires de Charles de Gaulle : « La vieillesse est un naufrage » ou de François Mauriac : « Il n’y a pas de beau vieillard ».
Vieillir sans être vieux
Denise Leydet, retraitée depuis plus de 30 ans, s’enflamme : « Au lieu de devenir des vieillards aigris, on peut espérer autour de soi joie et chaleur humaine dont chacun a tant besoin », telle est sa mission. Pour autant, elle aimerait que des plus jeunes apportent un souffle nouveau. Malgré l’image pesante du passage du 3e au 4e âge, « ils pourraient venir de temps en temps, mais bien des clubs souffrent de ce problème ».
Pour vaincre la solitude et conserver le contact avec l’extérieur, le scrabble, le triominos, la belote, le loto et les goûters sont autant d’atouts majeurs ; on pratique aussi cette activité tellement féminine, le papotage. Nostalgique, Denise constate : « Il est loin le temps des séjours en village de vacances, des bals du Carnaval, des vendanges ou de la Sainte-Catherine et il n’y a plus de chorale au club ! » Des moments forts subsistent : la rencontre annuelle avec le club jumelé du Vigean dans le Cantal, la célébration des anniversaires du trimestre, agrémentée de jolis cadeaux, les repas livrés par traiteur.
Certes, les plus handicapés ne se déplacent plus mais Denise et son équipe redoublent d’efforts pour préserver une belle ambiance, les personnes seules dont 13 veuves et plusieurs nonagénaires ne manquent pas ces rendez-vous. Pour Denise : « Même si on ne chante plus, on reste mobilisés, ainsi Madame Bonadéi, présidente d’honneur, aujourd’hui à l’EHPAD du Vigean, vient parfois nous rejoindre », et malicieuse, d’ajouter : « Des fiançailles ont pris forme ici même ». Elle fonde beaucoup d’espoir sur Denis-Pierre Lalande, un retraité bien plus jeune, pour assurer la relève et mettre en place des activités plus dynamiques.
Le franc-parler et la gentillesse de la présidente forcent l’admiration et rappellent cette parole d’un poète oriental : « Fends le cœur de cette femme, tu y trouveras un soleil ». Elle conclut, enthousiaste : « Je reste fidèle à ce club de quartier et à son esprit de famille ».
Question lancinante, serait-ce pour répondre à un mortel ennui et à une vieillesse assassine que l’on s’évertue à tuer le temps ?
Claude Mazhoud
Sources : La chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller. De Marie de Hennezel