Passeur de mémoire

« Nous ne traversons pas le temps, nous le transportons avec nous. » Marcel Proust

 

Plume attentive et passionnée du biographe ( photo de D. Hilloulin)

Un bagage précieux qui signe notre singularité. L’écrivain biographe peut nous aider à en rédiger le livre. Alain Porchet*en a fait son métier. Invitons-nous à pousser la porte.

 

« Avec le temps va, tout s’en va »

Nous avons tous un jour croisé ce texte. Il suscite chez chacun des réactions diverses. Pour les clients d’un biographe, il interpelle leur envie de léguer un héritage humain à d’autres, descendants ou collatéraux. Laissons place à un témoignage : « C’est vital de transmettre, surtout pour la génération qui est passée du sol en terre battue à Internet. Parler fait du bien. On existe. On sauve un patrimoine, une mémoire qui peut fuir d’un moment à l’autre. » Déclaration corroborée par Alain Porchet, mettant en exergue la forte demande de ses narrateurs en matière de mémoires familiaux et de leçons de vie. Il s’agit donc pour lui « d’aider à inscrire leur histoire individuelle dans l’histoire de leur temps ». Précisons, pour être complet, que la demande pour une biographie peut aussi bien provenir des enfants eux-mêmes : cadeau pour leurs aînés ou volonté de conserver, à portée de livre, la vie de leurs ascendants.

 

Confiance, écoute

Le biographe emprunte pour un temps la psychologie du narrateur dont il va retranscrire les mots, sentiments, émotions. Au fil des semaines, des mois, une proximité se crée, pouvant générer une position qualifiée par Alain de « confident exclusif ». La confiance mutuelle est donc l’ADN du métier. Qualités primordiales : empathie, écoute et esprit de synthèse. Enfin, témoin fantôme au service de son client, restituteur de son style d’expression, il doit posséder les qualités rédactionnelles idoines. Illustrons avec le remerciement de Maryse, 74 ans, ex-professeur de lettres « Bravo pour la mise à l’écrit de mon flux de paroles. Vous êtes un vrai pro. » Ou cet autre commentaire de Christian (83 ans), reconnaissant la patience et le professionnalisme de l’écrivain : « Je ne pensais pas que l’on pourrait décrire un tel parcours (guerre d’Algérie, 460 pages). J’ai repris espoir. En haut (…) mon père doit être fier. »

 

Beau rendez-vous

Au fil des propos échangés avec Alain Porchet, des satisfecit recueillis auprès de ses clients narrateurs, nous mesurons combien ces personnes semblent réaliser un de leur plus beaux rendez-vous, au cours duquel ils valorisent et enracinent leur histoire. Antoinette, 90 ans, revendique fièrement qu’« à l’unanimité, famille et amis ont apprécié l’intérêt du récit ».Le célèbre aphorisme de Jean Bodin prend ici tout son relief « Il n’est de richesse que d’hommes », celle-là même qui rencontre la plume attentive et passionnée du biographe. Mais n’allons pas imaginer que la démarche soit toujours facile. Ainsi Lucienne et Jean René confient : « Nous appréhendions de revivre certains mauvais moments de notre vie », ce qui les conduisit à stopper une première tentative, revenant quelques mois plus tard, à nouveau mobilisés. En revanche, le bilan de l’époux, devenu veuf en cours de rédaction de l’ouvrage force la réflexion « Je regrette que nous n’ayons pas commencé à le faire ensemble dix ans plus tôt (…) car mon épouse avait une mémoire formidable. »

 

Éternité 

Jean D’Ormesson cisèle en une phrase : « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » En écho, cette révélation de Gérard, 93 ans, venant de tracer le point final de son autobiographie : « J’ai fait revivre aussi les absents, ceux qui sont partis rejoindre les anges. » Alors? Prêts à un petit pas dans votre mémoire, pour un grand pas vers votre éternité ?

Dominique Hilloulin

 

 *www.l’attrapemots.fr