Une balade du crime
Daniel Salmon présente son livre Bordeaux criminel à l'Escale du livre de Bordeaux en avril 2023
Daniel Salmon nous emmène par ses récits sur les lieux des crimes bordelais, révélateurs de la société du XIXe siècle et du début du XXe.
Par Marie Depecker, texte et photo
« Bordeaux la douce, l'endormie a, elle aussi, comme toutes les villes du monde, son côté sombre. On y travaille, on s'y amuse, on y danse, mais aussi on s'y tue. » C'est ainsi que Daniel Salmon commence son récit des affaires criminelles qui ont marqué l'opinion publique au XIXe siècle et XXe siècle jusqu'en 1960. Des quartiers chauds comme Saint-Michel, l'ancien Mériadeck, Bacalan ou la Victoire à ceux plus bourgeois du Grand-Théâtre ou de la Bourse, c'est un véritable parcours du crime que l'auteur nous propose dans son Bordeaux criminel, publié en novembre 2022 aux éditions du Festin.
Une petite assemblée de curieux est venue l'écouter présenter son livre samedi 1er avril 2023 à l'Escale du livre.
Ingénieur à la retraite, Bordelais d'adoption, Daniel Salmon s'est passionné pour ces faits divers, les lieux où ils ont été commis et ce qu'ils révèlent : pauvreté de la ville, folie des hommes, tolérance à propos des féminicides, intérêt de la population pour les exécutions publiques... Et c'est dans les archives de la presse locale et nationale ainsi que dans la lecture des ouvrages traitant du sujet qu'il a traqué les traces des assassins et de leur châtiment.
Guillotiné place d'Aquitaine
Il a retenu une cinquantaine d'histoires sanglantes sur 200 environ recensées pendant la période étudiée, celles qui expriment les mœurs de leur époque. Il ouvre son récit en 1787 avec Camalet, dernier supplicié par la roue et il l'achève en 1960 avec l'exécution de René Pons, ultime guillotiné de la ville. Il a préféré éviter les crimes plus récents pour ne pas blesser les descendants éventuels.
Il précise : « Non, Bordeaux n'était pas une ville particulièrement criminogène mais le port était un terreau pour la délinquance. » Il raconte « qu'en 1827, des matelots mutins ont pris les commandes d'un bateau négrier qui transportait 490 esclaves dans les soutes. » Ils auraient assassiné 13 personnes dont le capitaine et une partie de l'équipage. Arrivés à destination à Porto Rico, ils sont arrêtés sauf Sirbe qui fuit et qui va naviguer pendant deux ans. À Bordeaux, il est reconnu, jugé, condamné à mort et guillotiné place d'Aquitaine (place de la Victoire aujourd'hui). Parfois ce sont des règlements de compte qui se terminaient mal comme en 1923 : un manager de boxe, par ailleurs mêlé à toutes sortes de négoce louches, est tué dans une salle des docks de Bacalan.
Mœurs légères
Daniel Salmon explique que « les prostituées étaient nombreuses à Bordeaux. Elles arrivaient souvent de la campagne et n’avaient pas d’autre moyen de subsistance dans une ville qui était très pauvre « en dehors du Bordeaux bourgeois ». Il relate par exemple un carnage qui a lieu dans une maison de tolérance dans le quartier de Mériadeck par un client très violent, ivre sans doute, un dénommé Cuyo qui poignarde deux prostituées. Arrêté, il est jugé et condamné aux travaux forcés dans le bagne de Nouvelle-Calédonie, bénéficiant de circonstances atténuantes (« mœurs légères » des victimes).
Avide de sensations
Comme aujourd'hui, ce sont les mêmes démons humains qui guidaient les pires actes : la jalousie, la haine, la cupidité, constate-t-on en lisant ces chroniques. Peu de femmes étaient responsables d'actes très violents et elles étaient souvent graciées. Mais en 1940, Pétain refuse celle de d'Élisabeth Ducourneau, accusée d'avoir empoisonné sa mère et son mari avec la complicité de ses amants.
Les exécutions capitales étaient publiques et très suivies. L'auteur raconte qu'en 1827, une foule hurlante est massée le long du passage de la charrette qui mène Jean Bertain vers la guillotine,
place d'Aquitaine, noire de monde. Le pauvre bougre a tué son beau-frère pour lui voler sa montre, sa bourse et sa tabatière. « Dans
la foule avide de sensations, se trouve Goya. L'exécution lui inspire deux superbes dessins » ajoute Daniel Salmon.
En lisant ces 50 chroniques richement illustrées par des documents historiques, vous pourrez vous promener, sans peur, dans un Bordeaux
plutôt noir et sordide.