Parcours initiatique
La musique réservée à une élite ! Le projet Orchestre en réussite grâce à une méthode novatrice d’apprentissage a essayé de mettre à mal cette image. A-t-il atteint son but ?
Répétitions de l'orchestre des enfants (photos de D. Bert)
En 2008, dans le cadre du dispositif Projet de réussite éducative de l’Éducation Nationale et d’une expérience d’enseignement de la musique, venue du Venezuela, le responsable de l’école de musique d’Ambarès, Dominique Jougla, a bâti une opération d’enseignement. Il l'a proposée à des enfants souvent en décrochage scolaire, issus de milieux familiaux connaissant diverses difficultés, en général domiciliés dans les quartiers en Contrat Urbain de Cohésion Sociale.
La finalité est de faciliter la reconstruction de l’enfant à travers la création d’un orchestre et d’un enseignement qui saute les étapes en lui confiant un instrument, cuivre ou percussion, dont il tirera immédiatement des sons.
Un projet délicat
Il a fallu trouver un partenaire en la personne de Pierre Lefort, responsable du dispositif du Projet de Réussite Éducative pour la ville, connaissant les milieux dont les enfants étaient issus. Il a choisi 18 enfants de 7 à 10 ans après avoir convaincu leur famille y compris celles des Gens du voyage.
Le premier mois a consisté à montrer les instruments fournis gratuitement aux enfants grâce à des financements issus des Fonds européens, du Conseil Général, de l’État, mais aussi de partenaires privés comme la Fondation de France et le Crédit Agricole. Ils ont choisi celui sur lequel ils joueraient en pratique collective : une heure d’orchestre et une heure séparée par pupitre par semaine.
Dominique Jougla rappelle qu’il a fallu contrôler les comportements grâce à la présence de trois professeurs formés à ce type d’enseignement : respect du chef d’orchestre, discipline de groupe, respect des partenaires mais que ces valeurs sont transversales à tout milieu éducatif.
Les regards changent
L’orchestre a poursuivi sa formation en montant un programme dont le but est de se produire.Certains parents, qui n’auraient jamais imaginé pousser la porte du Centre Culturel, sont venus écouter leurs enfants et ont valorisé la vision qu’ils en avaient. Ecoutez Pierre Lefort : « Progressivement, les enfants ont appris à écouter et respecter les autres, à se respecter eux-mêmes. »
En fin d’année scolaire, quinze élèves se sont présentés aux évaluations. Ils ont été reçus en obtenant parfois de meilleurs résultats que ceux qui ont suivi le cursus traditionnel. Les trois autres sont restés dans le groupe.
Puis l’orchestre s’est produit pour la fête de la musique, pour le carnaval des deux rives avec la fanfare du Québec. Il est allé assister à un concert de l’harmonie de Bordeaux au Théâtre Femina avec accès à la scène et aux loges. L’émotion des parents, intimidés de pénétrer dans des lieux par eux jugés inaccessibles, était palpable.
Hors de l’orchestre, une amélioration a été constatée dans les résultats scolaires, notes et méthodologie.
Le projet s’est poursuivi deux ans de plus. Trois enfants ont arrêté pour raisons diverses. Huit sont arrivés en première année et ont pris place dans l’orchestre. Tous ont été confrontés aux évaluations et ont été reçus.
Dans le cadre de l’accueil d’artistes au Pôle Culturel Évasion,ils ont rencontré des professionnels et joué avec eux : Kahil El Zabart, le percussionniste de Stevie Wonder, un groupe brésilien de Sao Paulo et même Didier Lockwood. Le sujet a fait l’objet d’une émission de France-Télévision par William Lémergie. Comment ne pas imaginer la fierté de ces jeunes et des familles.
Certaines ont acheté un instrument pour que leurs enfants poursuivent à domicile la pratique musicale. Cinq sont encore présents dans l’école de musique depuis 2011. Kenza avoue « cette expérience m’a changé la vie, toute la vie », Sophie affirme « vouloir recommencer, encore recommencer, toujours recommencer » et Stevens retient « qu’il a pratiqué tous les instruments de l’orchestre ».Cette évolution réjouit Dominique Jougla. Il avoue sa surprise de constater que le mot de réussite associée à celui d’orchestre se révèle totalement adapté. En effet six jeunes issus de ce dispositif sont allés à la rencontre du Conservatoire de Salé au Maroc et de la Garde Royale du Maroc.
Alain Lagrange