Château de Cadillac
« Grandeur, décadence et renouveau » caractérisent le monument qui, né de l’orgueil du duc d’Epernon, écrase la bastide de Cadillac.
Si, par une belle journée de printemps, il vous prend fantaisie d’emprunter l’ex RN 113 et de traverser la Garonne sur le pont de Podensac, vous aborderez la nouvelle voie que les gens du cru appellent pompeusement « la rocade » et qui mène directement à Cadillac. Et là, oh surprise ! Un château renaissance semble barrer la route de sa masse imposante. Avançons à sa rencontre.
Un palais en pays gascon
Dans l’histoire assez compliquée du village, se détache un portrait de femme :Marguerite de Foix-Candale, née en 1565, comtesse de Benauge et dame de Cadillac, qui épouse, le 4 août 1587, Jean-Louis de la Valette, seigneur de Caumont, pair de France et duc d’Epernon. Ce dernier, rusé, intelligent et ambitieux, avait su s’attirer les bonnes grâces de Henri III, devenant l’un de ses « mignons ».
Dès lors, chacun des deux époux accomplit le « métier » auquel son rang le destine : le duc se lance dans des guerres incessantes, et Marguerite lui donne les héritiers qui assureront sa descendance : en 1591, naît Henri de Foix de la Valette, en 1592, Bernard de Foix de la Valette et en 1593, c’est Louis de la Valette. Mais, hélas ! Sa mère perd la vie des suites de son accouchement. Revenu de guerre quatre ans plus tard, le veuf fait alors édifier un mausolée d’un luxe extraordinaire pour sa jeune femme.
Puis, las du confort approximatif du vieux château de Cadillac, il envisage la construction d’un palais plus conforme à ses rêves de grandeur. La première pierre est posée en 1599, au cœur de la bastide médiévale dont il n’hésite pas à faire raser le tiers des maisons pour assouvir ses rêves de grandeur. A l’origine, c’est un véritable palais, comprenant six pavillons, « un petit Versailles » en terre gasconne.
Séparé de la population cadillacaise par une haute muraille, des douves et des jardins, il est voué à la magnificence de son seigneur. Il en subsiste le pavillon central et deux ailes, qui étaient flanquées à l’origine de deux pavillons à colonnes. On peut encore visiter les deux parties distinctes qui encadrent le hall d’entrée : les appartements ducaux et les salles royales, réservées aux souverains que l’on voulait honorer. Le voyageur Abraham Gölnitz raconta sa visite : « A l’intérieur, ce monument vraiment magnifique renferme 60 chambres disposées de façon toute royale, … 20 cheminées enrichies de marbres variés , … les murailles sont couvertes de tapisseries d’or et de soie. » Et partout, le monogramme du duc et de son épouse.
Le propriétaire de cette superbe demeure n’y résida qu’épisodiquement, mais des fêtes somptueuses y furent données. Il y reçut Louis XIII, Anne d’Autriche,
Richelieu. Mazarin y séjourna, invité par Bernard de Foix la Valette, comme Louis XIV au retour de son mariage avec l’infante Marie-Thérèse. Dans les archives de la ville, on retrouve aussi une trace du passage de Molière et sa troupe.
On peut imaginer les armées de marmitons s’affairant dans la cuisine voûtée du sous-sol, mitoyenne avec la boulangerie, les charrettes se bousculant aux portes de service où elles livraient la viande, le gibier, les légumes et le poisson pour des agapes gigantesques sur les longues tables dressées dans les salles immenses. Un jardin à la française se prêtait à des promenades galantes, entre les bosquets, les bassins et les grottes artificielles. Les montures des invités logeaient dans des écuries superbes.
La décadence
Le duc d’Epernon mourut le 13 janvier 1642, âgé de 88 ans. Ses deux fils, Henri et Louis, étaient décédés en 1639 sans descendance et son unique héritier, Louis-Gaston de Foix-Candale, fils de Bernard, ayant rejoint à son tour le superbe mausolée en 1658, la lignée s’éteignit. La famille était criblée de dettes et, par le jeu des héritages, le château échut à des propriétaires successifs dont le pire fut le comte de Pressac qui fit démolir, vers 1740, les deux avant-corps du château, ces deux ailes sur colonnes qui en faisaient toute la grâce et démanteler les pavillons donnant sur le jardin ainsi que le mur de clôture, une partie des écuries, le manège. La décoration intérieure fut mise au goût du jour, les belles fenêtres à double croisillon remplacées. Et ce n’était qu’un début des affres subies par le palais. Car la Révolution devait passer par là et l’endommager irrémédiablement.
Une seconde vie débutait pour la « merveille » du duc d’Epernon, et c’est une autre histoire…
Texte et photos d'Any Manuel