Mériadeck, éloge de la modernité
Le quartier Mériadeck de Bordeaux ne fit pas l'unanimité lors de sa rénovation en 1970. Qu'en est-il aujourd'hui ?
La rénovation du quartier Mériadeck est toujours sujette à controverses et polémiques. Quarante ans après, les non-résidents parlent de béton, de froideur, d'ombre, d'inquiétude mais ceux qui y vivent ne veulent pas partir : silence, luminosité et services de proximité.
Un projet ambitieux
Il faut situer la rénovation du quartier dans le contexte architectural, urbain et culturel de l'époque. D'aucuns affirment que celle-ci se fit au détriment de la population, très largement prolétarisée, avec une culture de quartier mais vivant dans un environnement de grande précarité. Francine Fort, directrice d’Arc en rêve, centre d’architecture, nous invite à relativiser notre lecture et à la contextualiser : « Nous vivons aujourd'hui dans l'idée d'un renouvellement urbain comme un aménagement des espaces de vie. Hier, prévalait la notion de réhabilitation de l'habitat qui mettait l'accent sur l'espace social, les conditions de vie. Dans les années 80, on favorisait les opérations de restauration à l'identique, ce qui était d'un coût exorbitant. Toutes ces opérations répondaient aux dispositions des pouvoirs publics et à l'application des procédures qui en découlaient. Dans les années 60, la rénovation d'un quartier consistait à le raser et à le reconstruire. Mais que construire ? Des tours et des barres, réponses à une démographie en expansion et à un espace contraint. La force visionnaire du maire Jacques Chaban-Delmas fut d'imposer, dans le cœur de la ville, la création d'une zone dévolue au secteur tertiaire en y adjoignant de l'habitat » Ce côté novateur fut renforcé par l'adhésion à une conception inspirée des idées de la charte d'Athènes de 1941* : une séparation des flux de circulation et une segmentation des secteurs en fonction de l'usage.
L'idée de séparer verticalement les différents types de circulation apparaît dès le XVe siècle avec le projet de la Città Ideale de Léonard de Vinci. En 1910, Eugène Hénard réintroduit l'idée de séparation des véhicules et des piétons avec sa proposition de « Rue Future », puis viendra sous sa forme plus radicale « La Ville Radieuse » de Le Corbusier en 1922.
Urbanisme sur dalle à Mériadeck (photos de D. Sherwin-White)
Le quartier de Mériadeck applique les principes de l'urbanisme sur dalle, séparant les circulations piétonnes et automobiles. C'est au niveau de la dalle constituée de terrasses, jardins, esplanade dédiée aux piétons, que l'on parvient aux services, mais leur accès reste difficile. La préfecture sera le premier établissement à déroger à cette règle en ouvrant au public un accueil au niveau de la rue. On peut regretter que pour le tramway qui, aujourd'hui, traverse Mériadeck, on n'ait pas opté pour une solution intégrant et desservant le niveau supérieur, répondant ainsi au plus près à sa mission.
Un passé actualisé
Monseigneur Ferdinand Maximilien de Mériadeck (1783-1813), archevêque de Bordeaux en 1769, entreprit d'assécher un immense terrain marécageux de trente hectares situé derrière le palais Rohan (1772-1781) devenu hôtel de ville en 1835. Des échoppes se construisent, un marché s'installe, une fontaine est créée. Tout au long du XIXe siècle, à mesure que la population croît, des parcs d'activité et de détente apparaissent dont une patinoire en 1838 ! Peu à peu mis à l'écart, le quartier fonctionne en autarcie comme un village, la mairie désinvestit l'entretien des voiries, les logements se dégradent et atteignent après la seconde guerre mondiale un seuil critique.
En 1955, la municipalité se prononce pour la rénovation radicale du quartier. Les travaux sont lancés en 1970 et la dalle achevée en 1980. L'ensemble architectural initial sera finalisé en 1993. D'autres bâtiments seront construits plus tard. Sur les terrasses seront réalisés des bureaux, sièges d'administration et sièges privés, des logements, hôtels, centre commercial, équipements sportifs et culturels.
En 2007, le quartier Mériadeck fait partie du périmètre de Bordeaux inscrit sur la Liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco, reconnaissance d'un réel intérêt architectural et urbain. Quel sera son avenir ? La destruction de l'immeuble de la Croix du Mail nous avait laissé entrevoir la profondeur des jardins, leur quiétude et leur diversité verdoyante. La Cité Municipale qui se construit actuellement, s'adossera-t-elle à l'esplanade ou s'ancrera-t-elle aux jardins de la mairie ? Question de perspective.
Jean-Louis Deysson
*La Charte d'Athènes (1941) est l'aboutissement du IVe Congrès international d'architecture moderne (1933) dont l'objet était l'extension rationnelle des quartiers. En séparant les quatre fonctions de la ville : habiter, travailler, circuler, se cultiver, elle instaure un système de zonage.