Une maison insolite

À la fin du XIX e siècle, le petit village portuaire de La Bastide, sur la rive droite de la Garonne, devient le 7e canton de Bordeaux. La municipalité s’interroge alors : comment répondre aux nouveaux besoins de ce quartier en pleine expansion ?

Porte d'entrée de la maison cantonale
Porte d'entrée de la maison cantonale

Plaine marécageuse plantée de vignes à partir de XIIIe siècle, la rive droite est aussi un lieu de villégiature pour les riches Bordelais. Mais le pont de Pierre, à partir de 1822, va changer complètement la vocation du quartier. Il se développe : construction des quais, de la gare d’Orléans et de la passerelle Eiffel, installation de chantiers navals et de manufactures. Et il s’urbanise : en 1888, la Bastide comptait 17 000 habitants*, une population très largement ouvrière. Devenu un canton de la ville de Bordeaux, le quartier avait besoin d’équipements publics de proximité.


Une maison citoyenne

«  Justice de paix, commissariat de police, salle de réunions, bureau d’état-civil, ce n’est pas seulement tout cela que nous vous donnons : c’est aussi le témoignage de l’intérêt que nous prenons au développement industriel de ce grand quartier et la marque de la bienveillance affectueuse et reconnaissante dont nous entourons les travailleurs qui vivent ici. » Belles paroles de Fernand Philippart, maire de Bordeaux de 1919 à 1925, mais en réalité 24 années s’écoulèrent entre la décision, en 1903 ; du conseil municipal de construire une maison cantonale** et son inauguration. Le manque de financement puis le changement d’architecte et enfin la première guerre mondiale ont retardé sa réalisation. C’est finalement le projet dessiné par le bordelais Cyprien Alfred-Duprat qui voit le jour, il est inauguré sous le mandat d’Adrien Marquet en 1928.

Aujourd’hui monument historique, superbement restaurée, la maison cantonale a retrouvé toute sa beauté et sa fonction. Les Bastidiens y disposent de services municipaux de proximité et les associations l’investissent régulièrement pour chanter, danser, jouer de la musique, exposer ou organiser des fêtes. Le jour de notre visite, une chorale occupait l’ancienne salle d’audience et répétait avec bonne humeur Les Champs Élysées de Jo Dassin.

 

Et pittoresque

 

Pierres et briques sont élégamment associées
Pierres et briques sont élégamment associées

Il fallait tout d’abord insérer le bâtiment dans un espace restreint entre deux rues étroites, la rue des Nuits et celle de Châteauneuf tout en lui donnant une allure monumentale. D’où cet édifice à cinq côtés avec un large parvis, un drôle de beffroi et une magnifique entrée. L’architecte Cyprien Alfred-Duprat est résolument de son temps, influencé par le grand courant artistique du début du XXe siècle : l’Art nouveau. Il donne libre cours à son imagination pour créer des décors naturalistes sur les façades, les pignons, les chapiteaux, les balustrades et les balcons : végétaux et animaux apportent de la fantaisie et de la vie à la rigueur de la construction. Ceps de vigne et branches de pins rappellent les activités régionales.

L'Art nouveau a inspiré l'architecte pour les éléments décoratifs

Mariant l’utilitaire et l’esthétique, l’architecte associe des matériaux différents comme la pierre et la brique, le bois et le fer forgé. Cela lui permet de jouer avec les contrastes de couleurs et de matières. Le vestibule presque ovale est dominé par un élégant promenoir et des chapiteaux fleuris de roses de pierre. Il donne accès à toutes les salles dont la salle des fêtes parcourue par un joli balcon à colonnettes.

Mais ce qui donne à cet édifice son caractère si insolite c’est le mélange des sources d’inspiration : l’Art nouveau domine mais certains éléments comme les lustres suspendus en fer forgé moins exubérants, annoncent l’influence de l’Art déco et les toitures à forte pente évoquent l’architecture des régions nordiques.

Rigueur et fantaisie résument l’architecture unique de cette maison. Futuriste à sa conception, elle demeure aujourd’hui une belle maison vivante au service des habitants de la Bastide.

 

Texte et photos de Marie Depecker


*13 000 habitants environ aujourd’hui

** 42 rue des Nuits tél 05 56 86 20 56 tram ligne A station Jardin botanique