La vie entre parenthèses
Á la façon de Georges Pérec dans son livre La vie mode d'emploi, voici comment les habitants de la résidence Les Tourelles de Charlin, à Mérignac, ont supporté huit semaines de confinement, sans angoisse, colère, solitude ni stress.
Depuis le 17 mars 2020, à partir de 14 h, plus le droit de sortir de son domicile, seulement pour faire les courses alimentaires, une fois par semaine ou bien pour se promener à moins d'1 km de son domicile. C’est bien peu !
Dès 8 h du matin, ce même jour, départs précipités vers la campagne. Une dame explique à qui veut l’entendre : « Je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai hésité, mais ce matin je me suis décidée ! ». Un quart d’heure plus tard, un voisin essaie de mettre trois grosses valises dans le coffre de sa voiture : il se justifie :« Il vaut mieux fuir, les magasins sont dévalisés, je pars quand il est encore temps ! ». En effet, deux jours plus tard, ce sont les rayons de boites de conserves, pizzas et légumes congelés qui sont vidés, ainsi que ceux de farine. Les confinés ont une furieuse envie de cuisiner, de faire du pain ou des gâteaux !
Les jours se suivent. La première semaine, les résidents restent sereins et philosophes. Ils ont un appartement agréable donnant sur un grand parc. Ils continuent de vivre en bavardant avec quelques amis, à la distance règlementaire lorsqu’ils sortent. Ils plaisantent, sont persuadés que le « coronavirus ne viendra pas chez nous ! » Depuis sa propagation dans le monde entier, ils sont moins confiants… D’autant que deux cas de Covid 19 se sont déclarés chez leurs voisins, avec nécessité d’un court séjour à l’hôpital ! Voir arriver, le 15 avril, deux ambulanciers, en tenue intégrale de protection, qui ramènent une dame puis qui nettoient le véhicule pendant une demi-heure : on comprend la dangerosité de ce virus !
Il fait presque toujours beau. C’est frustrant de ne pouvoir s’aérer dans les bois ou sur les plages. Tout le monde reste enfermé dans son logement, cela aussi est inhabituel. Avant ce 17 mars, les gens partaient travailler ou faire du sport, s’évadaient en voiture. Ils se rencontraient à peine, ne se parlaient pas. À partir du mercredi 18 mars, les rues alentours sont vides, un grand silence règne dans le quartier, les voitures restent au parking. Les poubelles restent à l’extérieur, plus personne pour les rentrer au sous-sol. Le facteur ne passe plus que deux fois par semaine.
On a besoin de bouger, de parler. Durant cette période, les habitants s’interpellent d’un balcon à l’autre, ils ont besoin d’échanger les informations ou de parler de leur angoisse. Une dame s’est proposée pour faire les courses à ceux qui le demandent. Une autre est très contente de s’occuper de son chien, pelage blanc et oreilles noires qu’elle appelle Idéfix, comme son homologue de bande dessinée. Il est fantasque, dynamique et adore courir. Mais Idefix se trouve confiné lui aussi et regrette les sorties pour des courses folles dans les bois. Alors, pour tromper l’ennui, il aboie lorsqu’il voit les enfants courir et jouer à cache-cache dans les buissons.
En effet, dès le mois d’avril, les parents sortent tous les jours pour laisser jouer leurs enfants en bas âge, seulement vers 6 h du soir car ils font du télétravail. Les grands-parents ne peuvent que les regarder de leur balcon. D’autres se promènent l’après-midi, en couple ou en solitaire et commentent les vieux films vus à la télé. Les ados téléphonent à leurs copains, loin des oreilles indiscrètes des parents.
Après un mois enfermé, on éprouve le désir de prendre le soleil. Dans un coin tranquille, trois jeunes filles se retrouvent sur la pelouse, pour des mouvements d’assouplissement. Un sportif, en manque d’activités, a ressorti son skate. Un retraité s’entraine au golf, chaque après-midi. Un autre répare la voiture avec un ami, sans se préoccuper de garder la distance recommandée ! Celui qui fait du vélo dans le garage, tout en pédalant, peut s’imaginer sur la route le menant à l’Océan. Dans le hall d’entrée, les gens se croisent, se disent : « Nous ne sommes pas à plaindre, dans cet environnement verdoyant, au calme ! Même les perceuses électriques ne sont plus utilisées ! »
Une voisine a préféré écrire son ressenti.
14 mars 2020, le constat est fait : les rideaux de l’opéra de nos vies ont changé de couleurs
Laissons entrer en nous cette nouvelle partition et comme Mozart, jouons à mettre ensemble ces petites notes de musique qui s’aiment
Laissons- nous porter au gré du vent, dans ce monde flottant.
Laissons couler le temps dans l’écoute du chant des oiseaux
Tâchons d’avoir la mélancolie heureuse et d’apprendre à sauver nos rêves.
Tous les soirs, dès le 20 mars, depuis les balcons, des applaudissements et des coups de sifflets se font entendre pour remercier les personnels de santé. Le week-end, une dame, depuis son balcon, reprend les chansons d’Édith Piaf ou des airs de blues. Un ancien professeur de théâtre lit des contes. Leurs nombreux auditeurs se sont cotisés et leur ont donné 500 euros pour les remercier.
Même si la vie ainsi confinée est supportable, il est temps de retrouver liberté, spectacles, cinémas, cafés et restaurants, plages, voyages, la vie comme avant, en mieux !
Pierrette Guillot