À livre ouvert
La vie ne permet pas toujours le plein épanouissement d'une passion mais tenace, elle trouve souvent le moyen de s'immiscer dans les parcours de tout un chacun.
La boutique de la buraliste Marie-Luce avec un vrai comptoir de librairie (photos de D. Sherwin-White)
Ce jour-là, heure creuse dans la boutique, Marie Luce, buraliste, la soixantaine, fait un paquet cadeau. Ses gestes sont précis, appliqués, soignés. Le message muet livré par ses mains étant insuffisant, elle clame : « Ah ! Si j'avais pu passer le diplôme de libraire ; c'était mon rêve. » Ses mots claquent, mélange contrasté d'enthousiasme et de regret.
Le livre et plus
Marie-Luce donne d'elle une image souriante et toujours un mot gentil à chacun. Elle nomme certains clients par leur prénom. Son quotidien : les journaux, le tabac, les jeux, les cafés.
Dans cet univers en apparence très banal, animé par un va et vient incessant, trône à l'entrée un petit comptoir où sont alignés des romans auréolés en cette fin d'année des prix reçus par les auteurs et des ouvrages sur Bordeaux et sa région.
Cet îlot littéraire est sa bulle d'oxygène, il existe depuis 10 ans. « J'aime partager mes découvertes, conseiller. » dit-elle avec fierté. Elle n'hésite pas à demander la description de la personne pour laquelle l'achat est fait, ses goûts, son métier etc. Un jour, une maman désespérée par l'aversion de son ado pour la lecture, vient la trouver et s'épanche. Marie-Luce, après une écoute attentive, fait un choix. Plus tard la mère fera un retour enchantée par la réaction de son fils. Et si la relation établie avait joué plus que le choix du livre.
Le livre vivant
La gestion de ce petit univers n'est pas simple. Deux cents livres sont en stock, une centaine en exposition. Beaucoup de livres sont édités. Pour faire ses choix, Marie-Luce écoute la radio, consulte les revues et en particulier un semestriel Boocks très spécialisé. N'ayant pas la télévision par choix, elle consacre son temps libre à la lecture. Son enthousiasme actuel va au prix Goncourt dont l'auteur, brillant écrivain, mérite selon elle cette année la récompense. « C'est très bien écrit et riche au plan humain. » dira-t-elle, prête à raconter plus.
Deux maisons d'édition, une à Toulouse pour la littérature, le paiement est immédiat, les invendus sont remboursés. Une autre en Charente pour les livres régionaux, c'est le principe du dépôt vente, quand elle rend les invendus, elle règle ses ventes. Les prix des livres sont imposés quel que soit le lieu de vente en France, un rabais de 5 % est autorisé. Au fil des ans, elle a fidélisé une clientèle diversifiée qui, outre pour l'achat, vient aussi pour le conseil et l'échange.
Le chemin sinueux
Quel chemin parcouru pour conjuguer revenus de vie et passion des livres.
« Enfant, la lecture était un enchantement, puis je suis partie tôt de chez moi, il n'y avait pas d'argent, j'ai claqué la porte. » Les années se sont écoulées, à son insu son rêve mûrissait. À la quarantaine, elle reprend des études, « j'en ai bavé » son choix se porte sur une formation de créateur d'entreprise, elle en sort première en présentant l'entreprise la plus réaliste et originale : une brasserie littéraire. Elle concrétise son projet aidée par le Goethe Institut qui lui prête des locaux, elle devient animatrice pendant cinq ans d'une auberge où elle invite des artistes et écrivains régionaux...
Quand l'opportunité s'est présentée pour devenir cogestionnaire de ce bureau de tabac. Même si le projet était éloigné de son désir premier, elle a franchi le pas. Mais Marie-Luce n'a pas écrit son dernier mot, elle envisage à la retraite de continuer à faire vivre sa passion des livres et la partager.
Selon l'étymologie latine, le mot passion signifie « souffrir, supporter ». Malgré cette origine, « les vrais passions donnent des forces en donnant
du courage »(1) Cette remarque de Voltaire illustre le chemin de vie de cette femme et celui de beaucoup d'êtres humains.
Danièle Gardes
(1) Les finances édition Arvensa