Une passion inassouvie
Quel jeu de jambes !
Action, ballon, crampons (photos de R. Peuron)
Je suis le fils d’un arbitre international de football qui se rendit célèbre lors de la coupe du Monde de 1938.
« Je suis né en 1937, vingt ans après ma sœur, dans une famille aimante, mais trop tardivement pour préoccuper des parents âgés. Ma mère soumise à un mari célèbre était inexistante. Quand à mon père, il fut l’initiateur de ma passion dévorante. Professionnellement, sa carrière s’est arrêtée avec la guerre.
Qu’ai-je fait de ma jeunesse ?
Au sortir du berceau, je trotte derrière ce père sur les terrains de foot. À six ans, je joue dans une équipe à Saint-Julien Bechevelle. Je tape dans le ballon tous les jours pendant la récré, matin et soir, seul ou avec les copains. De l’école primaire, je n’ai aucun souvenir, rien ne m’intéresse. Mes parents ne se soucient pas de mes résultats médiocres. Je ne parle que football avec mon père qui tient une épicerie à Hourtin. Il ne doute pas de faire de moi un grand champion et c’est bien ma seule préoccupation. Je suis immature, insouciant et heureux.
Elevé en stabulation libre, le foot est ma nourriture. Physiquement, je suis chétif pour mon âge.
À dix ans, je joue à Talence. Mon père me fait vivre dans un environnement de rêve, je côtoie des gens célèbres : joueurs, entraîneurs de la ligue du sud-ouest. Apothéose de ma jeune carrière, on m’inscrit au concours du plus jeune joueur à Colombes où je suis qualifié pour participer à la finale du Club de France. Je gagne la coupe Thierry, puis joue avec les Girondins. L’école est plus que secondaire, pourtant j’ai dû assimiler les trois fonctions élémentaires qui me permirent de pouvoir assumer une seconde vie.
Junior je m’entraine avec les pros. À 19 ans, je pèse cinquante kilos pour un mètre soixante cinq et le doute commence à m’habiter. Je ne serai jamais professionnel. Je suis trop fragile pour le contact, je quitte les Girondins et enfin l’école, sans diplôme. Assez aigri, je me pose des questions sur la responsabilité de mes parents. Ils auraient peut- être dû surveiller ma croissance, sans doute stoppée par un excès de sport. Je prends aussi conscience de mon inculture.
Le temps de l’insouciance se termine
Je dois travailler. Je me retrouve employé aux écritures chez Bedin, maison de matériel d’embouteillage, au service des achats. Je continue de jouer au stade Macaudais que je quitte sur un coup de tête, puis à Arcachon durant mon service militaire.
J’épouse en 1959 la mère de mes trois enfants. La maturité de ma femme et la famille me font prendre conscience de la négligence de mon éducation. La responsabilité de père m’aide à surmonter la frustration, l’aigreur et la déception de ma carrière avortée. Je me fais un devoir de m’occuper de mes enfants et de leur scolarité.
En 1963, j’entre à la Lyonnaise des Eaux où je côtoie un de vos journalistes. J’adhère à l’équipe de football où pour la première fois je pratique une activité sportive en dilettante.
Je n’ai rien fait de ma jeunesse !
Le foot l’a gâchée, je n’en ai pas eu. Je ne sortais pas, je ne fumais pas, je ne buvais pas, je ne faisais pas la fête avec les copains. J’étais heureux, insouciant, le manque structure me convenait.
La mère de mes enfants m’a fait grandir, devenir responsable, je les ai élevés, leur ai donné un cadre familial et je suis fier de ce qu’ils sont devenus. J’ai remplacé le sport collectif par l’individuel pour me maintenir en bonne forme physique. Je pratique toujours la course à pied où je me suis distingué en disputant quelques marathons célèbres.
Ai- je des regrets ?
Peut-être ceux de n’avoir pas voulu voir la réalité, mon immaturité me l’a caché. Je suis une heureuse nature et je n’en veux pas à mes parents irresponsables. J’ai
eu de la chance : ma seconde femme a comblé mon manque de connaissances. J’ai essayé dans ce domaine de rattraper le temps perdu. Aujourd’hui j’ai ma place au sein d’une équipe qui diffuse
la culture. »
Paule Burlaud