Le chapeau de paille d'Aurélien

En mai 68, nos contestataires partaient pour le Larzac garder des chèvres. Au même moment, un Japonais microbiologiste, expert en phytopathologies, Fukuoka, revenait à un mode d’agriculture naturel et fortement spiritualisé sur la ferme de son père : « L’homme est le serviteur de la nature. » Il jetait ainsi les fondements de la permaculture.

 

 

Deux Australiens Mollison et Holmgren s’inspirent de Fukuoka et préconisent une agriculture permanente où l’homme est l’organisateur de la nature. La permaculture est une science de l’habitat et un art de l’aménagement des écosystèmes humains : elle prend soin de la nature (sols, forêts, eaux) et des humains (partage et redistribution) et surtout s’appuie sur l’économie d’énergie car « la culture industrielle a atteint son paroxysme ».

 

 

 

 

Théorie de la descente

 

Sans copier Fukuoka qui refuse toute intervention humaine, ne travaille pas le sol avec comme seul apport la paille, les permaculteurs s’adaptent à leur terrain et en tirent parti avec logique. Ils le travaillent manuellement, alternent les couches de cultures (comme dans la nature où il y a 7 strates de la canopée aux plantes racines) aménagent espaces secs et humides, jardins traditionnels, mares, buttes, vergers en symbiose avec des rampants (agroforesterie) et  des espaces circulaires, les mandalas (inspirés par le feng chui*). Pas d’engrais qui brûle les microorganismes, à part le compost fabriqué sur place, pas d’engins motorisés , pas de pesticides. Les volailles omniprésentes assurent du compost, chassent le trop plein de vers, les chats coursent les campagnols, les pucerons bossent nuit et jour, hérons et grenouilles sont les bienvenus pour la lutte contre les ravageurs. Le sol paillé (merci Fukuoka) garde l’humidité du sol et les mauvaises herbes n’y poussent pas. Enfin on garde un espace sauvage en tant qu’observatoire ! L’objectif est zéro pétrole ou comment accomplir une descente énergétique harmonieuse et éthique. Modelés par une culture de la croissance nous avons du mal à considérer le déclin comme un phénomène positif.

 

 

 

 

 

 

 

L’écolieu Jeanot

 

Partons à Rion des Landes partager le quotidien d’Aurélien nouveau maraîcher d’un écolieu créé il y a 10 ans. Nous sommes accueillis par une profusion de papillons, abeilles et oiseaux chassés de l’immense champ passé au peigne fin du maïsiculteur voisin.

 

Aurélien cultive sous serres et sur planches extérieures sous plastique. La terre est travaillée au minimum pour permettre au mieux les échanges sol/plante et la protection est assurée par de la paille ; il expérimente la semence à la volée sur substrats de feuilles ; les radis font un peu grise mine et le travail est considérable

 

Tout ce qui est sous serre produit très bien : les prédateurs y sont inexistants mais en dehors les résultats sont inégaux. Une colonie de rats taupiers a installé un VVF sous les aubergines : la moitié des plants y sont passés et bientôt Aurélien peut aussi faire le deuil de ses fèves. Dilemme, je casse le sol pour détruire les galeries ? Je piège ? Je mets des poisons genre tourteaux de ricin fabriqués à l’extérieur ? Je ne propose qu’une moitié de récolte donc une moitié de revenus ?

 

Mais Aurélien a le temps pour lui, il voit déjà arriver les poules avec joie, planifie ses semailles de fleurs à miel pour l’aider à polliniser, les emplacements de ses futures planches plates plus abritées… « Le meilleur engrais c’est l’ombre du jardinier » dit un proverbe japonais.

 

 

 

 

Premiers résultats

 

 L’exemple de la ferme  normande du Bec Hellouin  créée il y a 10 ans est stupéfiant : sur 4 000 m2 de terres peu fertiles, la production est de 100 paniers par semaine de fruits et légumes  avec  juste 20 cm de sol !Pendant 4 ans, l’INRA  en a suivi la production sur  une partie de1 000 m2  dont 450 de serres,  200 de vergers et 300 de mandala : les revenus mensuels varient de 900 à 1 500 Euros : on peut vivre sans polluer ni exploiter la terre jusqu’à son épuisement total. L’exemple de cette ferme   pilote est adaptable partout : balcon, jardins en ville, terrasses, petites exploitations car on considère un volume et non une surface. Ces nouveaux agriculteurs 2.0 aux méthodes ancestrales pourront ils inverser la spirale infernale que Monsanto et Bayer veulent imposer à toute la planète ?

 

 

Edith Lavault

 

 

*feng shui : discipline millénaire visant à maximiser les énergies positives par l’art de l’organisation de l’espace