Attention ! Palombière, sifflez !
L’arrivée du mois d’octobre déclenche dans le Sud-Ouest une étrange fièvre « la maladie bleue », un virus mystérieux qui touche exclusivement les chasseurs de palombes.
Les jours raccourcissent, la température fraîchit, les brumes matinales recouvrent les vallées encore verdoyantes de la Gascogne. Les étals des marchés se parent des couleurs de saison avec le raisin, les pommes, les châtaignes, les potirons et les cèpes. À n’en pas douter, l’automne est bien là… et les palombes arrivent !
Passent les palombes
En Gascogne, se concentrent tous les couloirs de migration du bel oiseau bleu. Sa chasse, traditionnelle depuis des générations, est attendue avec impatience et passion par des chasseurs amoureux de la nature.
Leur abri, la palombière, a été construit de longue date et entretenu avec soin. Une cabane centrale abrite quelques ustensiles et un mobilier rudimentaire. Le poste de commandement le jouquet est le quartier général du paloumayre d’où s’articulent des couloirs, habillés de fougères qui parcourent le sous-bois sur plusieurs centaines de mètres.
Grâce à un ingénieux système de cordes, d’installations mécaniques et de perchoirs, les appelants (pigeons domestiques ou palombes vivantes) sont montés à la cime des arbres. Déséquilibrés, leurs battements d’ailes imitent des oiseaux en train de se poser. Ces leurres vont attirer les palombes migratrices qui ont besoin, lors de leur long voyage, de se reposer, de boire et de manger.
Tout l’art du paloumayre réside dans le maniement de ses appeaux, de sa connaissance du vol, de la prise en compte du vent d’Autan, ce vent magique du Sud-Est qui longe la vallée de la Garonne et donne le signal de départ au phénomène migratoire.
À proximité d’une palombière, selon le code traditionnel, le visiteur doit siffler pour signaler son approche et attendre la permission d’avancer. Son occupant est peut-être en train de guetter un vol, d’essayer de le poser dans les arbres ou de le faire descendre au sol pour une capture au filet. Alors, chut, soyez discrets !
Lorsque le soleil décroit, le chasseur redescend ses appelants pour les hydrater et les nourrir selon la technique du gorgeage puis les mettre à l’abri des prédateurs.
Un art de vivre
De mi-octobre à mi-novembre, la période de chasse est l’aboutissement d’une longue préparation et devient le prétexte pour entrer en communion avec la nature : écouter les chants des oiseaux, le souffle du vent dans les arbres, le bruissement des feuilles. Les chasseurs aiment partager ces moments de tranquillité, à l’affût, avec des amis ou des parents et vivre pleinement leur passion dans un lieu privilégié à l’abri du monde extérieur. Pendant des heures, les paloumayres ont travaillé, aménagé abris et mécaniques. Ils ont apprivoisé, nourri, choyé des pigeons dans leur volière. Ils ont rêvé à ces futures journées automnales pendant lesquelles ils vont s’approcher au plus près de l’oiseau qu’ils admirent et convoitent : la palombe, ce beau pigeon-ramier à collerette blanche.
Camouflé dans son poste de guet, le chasseur se déconnecte totalement de son quotidien et se ressource dans le calme. Certains consacrent une grande partie de leurs congés annuels à ce loisir, d’autres sont des retraités passionnés. Les générations et les couches sociales se mélangent unies par ce même virus.
Certains tenteront de vous dire que la chasse est cruelle et inutile. L’espèce n’est pas en danger pour l’Europe et le chasseur met en avant son respect de l’environnement.
Non, le paloumayre n’est pas un solitaire. Lorsqu’il ne scrute pas le ciel, le chasseur aime partager bonne chère et bavardages. La palombière devient alors un lieu convivial et très animé ou chacun se restaure, chante, roucoule, rit, parle rugby, football, politique et refait le monde.
Si la chasse à la palombe est essentiellement une affaire d’hommes, les femmes sont toujours les bienvenues. Familles et amis partagent alors à l’abri des murs de fougères de joyeux moments autour d’un repas simple et généreux.
Comme l’écrivait l’abbé Jacques Delille, le bonheur n’est-il pas celui que l’on partage ?
Isabelle Denis