Une usine sociale pour demain
L’insatiable volonté d’innovation sociale de Fréderic Petit l’a conduit à créer des entreprises qui transforment nos déchets en emplois.
Frédéric Petit, président et directeur d'Elise Atlantique
Quai de Brazza, à deux pas du pont Chaban-Delmas, sont installés les locaux d‘ÉLISE atlantique : les camionnettes de collecte débarquent et déversent dans les conteneurs papiers, cartons, bouteilles gobelets en plastiques... Dans l’entrepôt, les employés sont à la manœuvre pour trier, mettre en sac tous ces déchets de bureau qui seront vendus et livrés à des usines de recyclage. Mais ce n’est pas une entreprise ordinaire car elle emploie 70 % de personnes en situation de handicap. Et ceci grâce à l’engagement social déterminé de Frédéric Petit.
— Quel a été votre parcours jusqu’à la création d’ÉLISE atlantique à Bordeaux ?
— Frédéric Petit : J’ai fait une école de commerce en alternance et travaillé ensuite dans des agences de communication. Parallèlement, j’ai participé à la genèse d’ISO 26 000 (une norme internationale qui définit comment les entreprises peuvent et doivent contribuer au développement durable). Ce travail m’a fait réfléchir sur nos modes de production et de consommation, les problèmes d’environnement, l’accumulation de déchets. À Bordeaux, rien n’existait encore dans le domaine du traitement des déchets de bureau. Pourquoi ne pas se franchiser avec l’entreprise lilloise ÉLISE. Mon associé, professeur de sport, connaissait le milieu du handicap. Alors, pas d’hésitation, nous nous lançons dans une activité pour personnes en situation de handicap. Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que dans la population générale. Notre premier emploi est créé en 2013, aujourd’hui nous avons 75 salariés dont 70 % de personnes handicapées.
— En quoi votre entreprise se différencie-t-elle d’une activité d’insertion ?
Une entreprise d’insertion emploie des personnes en difficulté, éloignées de l’emploi pour toutes sortes de raisons, sociales, culturelles... et qui ont besoin d’un accompagnement pour réintégrer le milieu professionnel conventionnel.
C’est le statut de l’atelier, Les détritivores, que nous avons créé en 2015. Il traite des déchets organiques pour les transformer en compost : 10 emplois à ce jour, 40 bientôt nous espérons.
ÉLISE atlantique est une entreprise adaptée. Les salariés sont en CDI, ils ont des contrats de travail ordinaires. Certains ont des tâches manuelles (tri, logistique, transport...) d’autres occupent les emplois de gestion, communication, ressources humaines...
— Quelles sont vos actions en faveur des salariés ?
— Nous faisons de la formation : nous organisons des cours sur place, assurés par une institutrice et un professeur, pour ceux notamment qui ont besoin de consolider les bases en français, calcul, écriture...
Nous formons également des transporteurs routiers. Certains quittent ELISE pour rejoindre un entreprise cliente qui recrute.
— Quelles sont les conséquences de la pandémie pour votre activité ?
— Nous avons perdu 25 % de nos collectes de déchets de bureau avec le développement du télétravail. Il faut s’adapter. Nous avions déjà commencé notre diversification avec la création en 2016 d’un atelier de traitement des gobelets et barquettes en plastique pour créer une nouvelle matière recyclée, Le Plastique français. C’est de l’économie circulaire, cela permet de réduire l’enfouissement et l’incinération (moins de 1 % des 4 milliards de gobelets utilisés en France par an sont recyclés). Et nous créons de nouvelles activités : de la cyclo-logistique pour livrer et collecter en ville, un atelier de réparation des petits appareils électroménagers et un atelier textile pour fabriquer masques, tee-shirt, polo.
— Qu’est-ce qui motive votre engagement ?
— J‘observe les signes de changement dans la société, je vois des besoins en matière de protection de l’environnement ou dans le domaine social et je propose des solutions, j’aime l’innovation, pas la routine. Quand on me dit “ce n’est pas possible”, je persévère.
Je souhaite aussi influencer l’économie conventionnelle par mes idées et mes actions. C’est pour cela que je suis vice-président du CPME, membre de la CCI, vice-président de l’UNEA.
Exemple d’une idée reprise par le gouvernement. Les étudiants se plaignent d’être isolés en ce moment, obligés de suivre des cours en visio dans leur chambre. Des entreprises pourraient proposer à un étudiant un espace dans leurs locaux, une connexion internet pour qu’il vienne travailler une fois par semaine, manger éventuellement avec les autres salariés, découvrir un milieu professionnel, sortir de ses quatre murs. La relation pourrait se prolonger pourquoi pas par un stage si affinités.
— Avez-vous des regrets ?
— Oui, deux regrets principaux :
Je travaille beaucoup, même le week-end, je dors peu, j‘aimerai donc avoir autour de moi plus de personnes qui ont le sens du dépassement.
Je trouve aussi que les jeunes ne s’engagent pas assez dans l’action, dans les institutions. Aujourd’hui c’est indispensable de se créer des réseaux et des opportunités.
— Quels sont vos projets ?
— L’installation de toutes nos activités dans un nouveau lieu. Ce sera l’Usine sociale de Brazza. Le permis de construire est validé mais nous avons encore une partie du financement à trouver. Il faut convaincre les banques.
ÉLISE est le 1er réseau d’entreprises adaptées et d’entreprises d’insertion en France dédié à la valorisation et au recyclage des déchets de bureau. Le groupe ÉLISE se développe sur l’ensemble du territoire français sous forme de contrat de franchise en collaborant avec des porteurs de projets ou en s’appuyant sur des structures de l’économie sociale et solidaire existantes partageant les mêmes valeurs qu’ÉLISE.
ÉLISE est le prénom de la fille de l’un des deux fondateurs de cette entreprise à vocation sociale basée à Lille et née en 1997. C’est aussi l’acronyme d’entreprise locale d’Initiative au service de l’environnement.
Marie Depecker
Avoir un seul bras n'empêche pas de conduire un chariot. Les déchets organiques sont transformés en compost