Choisir la crémation ?
Cette révolution des pratiques funéraires peut créer chez les vivants un certain désarroi : comment se recueillir, se souvenir quand le corps est réduit en poussière ?
Très largement pratiquée au Japon et en Inde, la crémation se développe désormais en Europe, plus rapidement dans les pays à tradition protestante et dans les grandes villes. En France, où la religion catholique exerce encore une forte influence, cette pratique concerne de 1 % des décès en 1980 à environ 30 % aujourd’hui.
Longtemps rejetée par les catholiques
Si les Hindous sont adeptes de la crémation sur des bûchers de bois et des cendres jetées dans les eaux purificatrices du Gange, c’est parce qu’ils croient au voyage de l’âme vers le ciel grâce à la fumée. En Europe, l’incinération, considérée comme un rite funéraire païen, disparait progressivement avec la christianisation. Si la sentence « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière » (livre de la Genèse) est rappelée aux catholiques le mercredi des cendres, c’est pour évoquer la condition humaine. Pour les catholiques, le corps est à respecter dans son intégralité. À l’image de celui de Jésus-Christ, il doit être enseveli dans une sépulture, au repos, en attendant la résurrection : détruire le corps, c’est priver la personne des retrouvailles célestes le jour du Jugement dernier. En France, si la crémation est légalement autorisée depuis 1889, l’Église catholique la tolère seulement depuis 1963 (concile de Vatican II), tout en réaffirmant sa préférence pour l’enterrement traditionnel. Choix très minoritaire chez les musulmans qui considèrent l’incinération comme « une atteinte à l’œuvre de Dieu » et chez les juifs pour qui la mise en terre du corps entier est une obligation dictée par la Bible.
Pratique en forte progression
De plus en plus de personnes expriment de leur vivant la volonté d’être incinérées après leur mort. Certaines souhaitent que leurs cendres soient emportées par les flots ou par le vent dans un lieu aimé, démarche romantique mais qui reste exceptionnelle. Des enquêtes* révèlent que les personnes favorables à la crémation le sont pour des raisons pratiques : elles ne veulent pas être une charge pour les vivants ni leur créer d’obligations et puis c’est souvent moins coûteux et peut-être plus écologique. Mais ces arguments rationnels cachent des motivations plus profondes, expressions de nouvelles attitudes face à la mort. Tout d’abord, le déclin de la foi et la montée du scepticisme vis-à-vis d’une vie après la mort désacralisent le corps. La peur de la maladie et de la mort conduisent à vouloir les effacer. Dans un contexte de grande mobilité, d’urbanisation et d’éclatement géographique des familles, laisser la terre aux vivants, ne pas les encombrer, c’est la ligne philosophique des militants de la crémation.
Des jardins du souvenir
Peut-elle supprimer magiquement le deuil, la tristesse de la disparition et de l’absence ? Le souvenir par la pensée peut suffire mais, dans la pratique, on observe que ceux qui restent ont besoin de lieux de recueillement et de mémoire, de signes matériels de l’histoire de leurs proches, de leur passage ici-bas. Ils ont finalement besoin d’un lieu identifiable pour se souvenir. C’est ainsi que de plus en plus de cimetières réservent un espace vert pour la dispersion des cendres où les familles plantent un repère pour venir se recueillir. Des parcs sont aménagés autour des crématoriums pour répondre à ces besoins. Ainsi le parc de Mérignac**, près de Bordeaux, ressemble à un cimetière : les urnes qui contiennent les cendres peuvent être déposées dans un caveau familial ou ensevelies dans une tombe avec une stèle personnalisée ou auprès d’un arbre où l’on vient déposer des fleurs. Même dans le columbarium, froid monument composé de cases, la personnalisation n’est pas absente. Et depuis une dizaine d’années, dans le Morbihan, à Auray, un ancien hôtelier propose son « jardin de mémoire ». Vivant, on vient choisir son emplacement et son arbre pour enfouir son urne. Le parc incite à la rêverie et la promenade. 200 arbres ont déjà été plantés, des chênes, des oliviers, des magnolias… Attendre l’éternité sous un arbre, pourquoi pas ?
Marie Depecker
*Enquêtes du CREDOC mars 2003
**Parc-Cimetière, avenue du souvenir, 33700 Mérignac.