L'esprit du lieu

 

La légendaire Dame Blanche hante toujours le château du Taillan

 

 

Monique Etchebeheïty

En automne, quand plane une brume blanche sur le vignoble on dit qu’elle est là. La Dame Blanche, fidèle depuis des siècles au château du Taillan, vient chaque année souhaiter prospérité au domaine mais, fantôme aux visages multiples, elle ne se contente pas d’une seule histoire.

 

Deux récits

Si les légendes s’accordent sur son apparition dans la région au Moyen-Âge, le destin qui la conduit en Aquitaine ne suit pas le même chemin selon qu’on la nomme Blanca ou Bianca.

Blanca accompagne son père, un chef maure, au moment des incursions musulmanes, et, quand celui-ci meurt à Poitiers, vaincu par Charles Martel reste dans notre région. Amoureuse d’un prince du Médoc, elle décide de faire bâtir une forteresse pour y vivre avec lui.

Bianca, quant à elle, est séduite par le même prince mais c’est au Maroc, sur sa terre natale, qu’elle le rencontre. Tombé follement amoureux d’elle, il l’épouse avant de la ramener chez lui.

On ne sait pas s’ils eurent beaucoup d’enfants mais ils vécurent heureux car lorsque son bien aimé meurt, Bianca ou peut-être Blanca, inconsolable, fait le vœu de ne plus porter que des vêtements blancs pour honorer sa mémoire. De sa propre mort, on ne dit rien sinon que le temps ne s’est pas arrêté pour son esprit qui n’a jamais quitté les lieux.

 

Que vive la légende

Toujours souveraine en son domaine, la Dame Blanche accompagne dès lors les générations successives qui vont le marquer de leur empreinte. Depuis les moines du XIe siècle qui en font une étape sur le chemin de Compostelle jusqu’au Marquis de Lavie qui construit le château actuel au XVIIIe siècle, elle s’adapte à toutes ses transformations. Lorsqu’au XIXe siècle, Henri Cruse, son nouveau propriétaire, décide de consacrer une partie des terres à l’exploitation viticole, elle est toujours là. Quatre générations plus tard, les héritières de la famille Cruse ouvrent le Château de la Dame Blanche au tourisme et continuent ainsi de faire vivre sa légende.

 

Visite virtuelle

Peu se targuent de l’avoir rencontrée mais beaucoup ont le sentiment de la connaître. Un froissement d’étoffe, un glissement furtif sur le parquet, une bûche qui craque dans la cheminée, c’est elle. C’est son souffle qui fait frémir les arbres et s’envoler l’oiseau nocturne qui lui ressemble. Elle apparaît de jour comme de nuit et disparaît aussi vite qu’elle a surgi mais on peut parfois deviner dans le parc son ombre penchée sur l’autel, à l’endroit où peut-être, elle est seule à le savoir, repose son prince. 

La légende dit qu’elle porte des gants, noirs quand elle vient annoncer une mauvaise nouvelle, blancs s’il s’agit d’un heureux présage. Mais quand elle traverse les pièces du château, sa chandelle à la main, les miroirs renvoient toujours le reflet d’un gant blanc sur son passage car c’est en messagère de bon augure qu’elle rend sa visite rituelle au domaine.

Si sa silhouette paraît plus évanescente que d’ordinaire lorsqu’elle regagne ses limbes c’est sans doute qu’elle s’est attardée dans la cave pour apprécier la qualité des crus millésimés auxquels on a donné son nom car cette âme en peine n’est pas indifférente aux plaisirs de ce monde. Se pourrait-il alors que la Dame Blanche soit grise ? Mais ça… la légende ne le dit pas.

 

 

Encadré

 

Le château du Taillan est situé dans la commune éponyme à 13 km au nord-ouest de Bordeaux. Henri Cruse l’achète en 1896, quatre générations s'y succèdent. En 1992, les cinq filles de Henri-François Cruse deviennent propriétaires de ce domaine de 100 hectares. C’est l’une d’elles, Armelle Cruse, qui en assure la gestion et l’ouvre à l’œnotourisme, accueillant 10 000 visiteurs par an. Sur les 30 hectares de vignes qui produisent essentiellement un rouge, Château du Taillan, classé, depuis 2020, Cru bourgeois exceptionnel, deux hectares sont réservés à la production d’un blanc baptisé La Dame Blanche. Outre la découverte de ses vins, le château propose une visite de son parc dans lequel on peut admirer : un retable en marbre rose du XVIIIe siècle, un autel de la même époque, vestige de l’ancienne chapelle sous lequel des fouilles ont mis au jour un sarcophage médiéval et des chais du XVIe siècle classés monuments historiques.