La dame de Mongenan
Florence Mothe nous ouvre les portes de son château familial de Mongenan à Portets et nous invite à une balade au siècle des Lumières.
par Dominique Beutis photo de F. Mothe

Descendante du Baron de Gascq1 qui fit construire le château, Florence Mothe s’investit avec passion dans la sauvegarde de ce précieux héritage familial, classé monument historique. Depuis 1983, elle a ouvert sa propriété au public en y créant un petit musée autour des archives d’Antoine de Lessart2, fils naturel du Baron de Gascq. Dans les huit salles proposées à la visite, porcelaines, soieries, costumes de cour, manuscrits exceptionnels, herbier, éventails et poupées se disputent la place. Vous y croiserez Rousseau, Montesquieu, y découvrirez un temple maçonnique aux décors intacts, unique en France car entièrement démontable. Vous vous initierez aux mystères de la botanique dans les allées d’un jardin tel que l’avait imaginé Rousseau.
Pour faire vivre son domaine et sa passion, Florence Mothe organise des manifestations culturelles hebdomadaires où elle entraine ses visiteurs sur les pas de Louis XVI, des révolutionnaires ou des encyclopédistes.
Quelle importance le château tient-il dans sa vie, où puise-t-elle son énergie passionnée pour toujours raconter, imaginer et créer ? Elle nous l’explique.


— L’observatoire : Pourquoi avoir choisi d’ouvrir votre propriété familiale au public et d’y créer un musée ?
— Florence Mothe : C’est en fait ma mère qui en a décidé ainsi. Le meilleur moyen pour obtenir la protection du patrimoine était l’ouverture au public. Nous pouvions alors essentiellement proposer des archives.
À l’époque, je travaillais à France-Culture avec Jean-François Chiappe3, spécialiste de Louis XVI. Il nous a aidées à les organiser. Grâce à lui, nous avons pu ouvrir le musée le 21 juin 1983, en présence de Jacques Chaban Delmas. Ensuite peu à peu nous avons rajouté les herbiers, les faïences, les costumes pour finir en 1989 par le temple maçonnique.
— Comment avez-vous composé les collections du musée ?
— Nous tenions particulièrement aux archives. Celles-ci datent du procès d’Antoine de Lessart avant qu’il ne soit massacré. Robespierre les avait données à sa veuve et nous les avons toujours conservées depuis. La vie de la famille a été obérée par cet assassinat.
Nous avions par ailleurs une importante collection de costumes que nous conservions dans de grandes malles remplies de camphre que l’on appelait les cercueils. Toute mon enfance j’ai entendu ma grand-mère dire : « les enfants, n’allez pas jouer dans les cercueils ». Cette interdiction nous a permis de conserver cette collection, très émouvante car l’on voit les gens vivre. Finalement, c’est comme un exotisme d’époque : nous nous promenons au XVIIIe siècle. Pour moi la compréhension d’une époque ne peut se faire que par le biais de l’émotion et de la sensibilité.
— Pourquoi qualifiez-vous le château de chaumière à surprises ?
— C’est un mot du XVIIIe siècle qui ne cachait pas son goût pour le plaisir. Le libertinage était assez commun et ouvert. Les folies ou petites maisons dans les feuilles permettaient de se livrer aux plaisirs de l’existence. La chaumière à surprises était dotée à l’intérieur de tous les aménagements voulus. Malheureusement la vertueuse Révolution en a détruit beaucoup.
— Quelle importance la franc-maçonnerie tient-elle dans l’histoire du château ?
— La franc-maçonnerie m’attire des visiteurs du monde entier, des passionnés qui lui consacrent leur temps et leur budget. Ils viennent ici comme en pèlerinage pour admirer le temple volant. Il date de la bulle pontificale de 1738 au terme de laquelle les francs-maçons étaient excommuniés et poursuivis. Il fallait donc pouvoir le cacher. Il a été démonté à la mort de mon arrière-grand-père en 1898 car nous n’avions plus d’initiés dans la famille. Nous l’avons remonté en 1989 après l’avoir prêté au quai d’Orsay pour l’exposition La diplomatie française et la révolution
— Vous sentez vous investie d’une responsabilité particulière en tant que descendante d’une telle lignée ?
— Quand on est propriétaire d’un monument historique, on n’est que le locataire fugace d’une histoire qui vous dépasse complètement. Vous êtes obligés de la porter et de la transmettre. Vous ne pouvez pas modifier en profondeur le bâtiment sans risquer de perdre son âme. Celle-ci est inhérente à l’histoire du lieu et transmise par les biens et la mémoire de la famille. Finalement, il faut avoir une vie très humble pour transmettre.
— Des noms célèbres gravitent autour de l’histoire du château. Que représentent-ils pour vous ?
— Antoine de Gascq était un homme de culture. Il adorait être au milieu de beaux esprits. Mais ça ne m’a jamais vraiment étonnée car moi-même j’ai vécu entre mon père et ma mère au milieu de gens intelligents et cultivés. Ensuite étant journaliste, j’ai été au contact de tous les gens que je souhaitais rencontrer.
Pour autant, en toute honnêteté, c’est toujours impressionnant de poser ses fesses sur un fauteuil où s’est assis Montesquieu. Comme de conserver un herbier de 138 planches entièrement composé par Rousseau qui avait initié mon ancêtre aux mystères de la botanique.
— Comment avez-vous concilié vos multiples activités ?
— Je pourrais vous répondre comme Rossini l’avait fait à Wagner avec son chaud accent italien : « C’est parce que j’avais de la facilité ». Mais non, tout simplement, je travaille, même si à certains moments je trouve ça un peu lourd. Ainsi la série de conférences que je prépare actuellement sur les affaires (Boulin, Carrefour du développement, Horta) me demande beaucoup plus d’efforts de mémorisation que mes conférences habituelles. Je passe du temps dans ma bibliothèque qui ne compte pas moins de 12 000 volumes. Si l’on rajoute mes deux exploitations agricoles et le château, c’est aujourd’hui un travail à temps complet. Mais quand il faut le faire, je le fais.
— Vous déployez une incroyable énergie et vous savez captiver votre public. Comment faites-vous ?
— Outre le travail, qui est mon principal divertissement, je suis curieuse de nature. Ma mère se plaisait à dire que j’avais une curiosité d’enfant d’éléphant comme dans l’histoire de Rudyard Kipling, je posais toujours des questions.
Enfin, que mon père ait été dans le nobiliaire m’a apporté une certaine aisance mondaine et que ma mère ait été dans la réflexion et l’analyse m’a donné le goût de l’investigation inhérent au journalisme.
— Quelle place le château a-t-il pris dans votre vie ?
— Il a totalement envahi mon existence. Beaucoup de plaisir, des contraintes certes mais c’est vraiment une œuvre pour moi. C’est un de mes bébés, comme un livre. C’est aussi un défi financier, je n’ai jamais perçu de subventions. Mais je suis ravie lorsque j’ai un bon retour dans la presse sur le travail accompli. Il faut être dans une création permanente. Le prochain projet, auquel je tiens absolument, est la restauration du jardin. Et je prépare actuellement un nouveau livre Savoir et franc-maçonnerie au siècle des Lumières.
Ce n’est pas toujours facile d’œuvrer seule, mais j’ai une heureuse qualité, c’est de ne jamais m’ennuyer avec moi-même. Je n’ai jamais renoncé à rien mais c’est la vie qui décide.

Florence Mothe est née en 1947, journaliste, musicologue, écrivaine, Chevalier des Arts et des Lettres, Prix des trois couronnes, Grand prix de la musique du syndicat de la musique, Grand prix de littérature de la ville de Bordeaux, Grand prix de l’Institut maçonnique de France.
1Antoine de Gascq : président du Parlement de Guyenne, premier président de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux
2Antoine Claude Nicolas Valdec de Lessart : fils naturel d’Antoine de Gascq, directeur de la Compagnie des Indes, dernier ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, exécuté en 1792
3Jean-François Chiappe : historien, producteur de radio et télévision, décédé en 2001