La maison qui guérit

Château, drôle de nom pour un asile. Un château, même pas fort, pour des esprits plutôt fragiles.

Par Marc Chantre

 

 

Le Centre hospitalier Charles Perrens se trouve sur l’ancien domaine de Château-Picon près du campus de Carreire, à Bordeaux, au sud du quartier Saint-Augustin.

 

Pour 600 femmes

À la fin du XIXe siècle, la ville veut un asile moderne. Elle achète le domaine de Château-Picon. Situé au-delà des boulevards, c’est un espace clôturé, arrosé par un ruisseau, le Peugue. Le docteur Henri Taguet, responsable du projet souhaite créer un hôpital où les aliénés seront mis en sécurité, éloignés de leur environnement habituel, protégés contre la promiscuité. L’hygiène sera l’objet d’une attention particulière. C’est l’architecte Jean-Jacques Valleton qui sera maître d’œuvre. Il propose un concept original, logique et fonctionnel.

Dans son étude, L’asile public des aliénées de Bordeaux, Liliane Leclerc, historienne d'art, le décrit comme une grande galerie centrale qui permet la surveillance et les interventions d’urgence : « (…) il s’y greffe, perpendiculairement, douze pavillons disposés en double-peigne, (…) les pavillons sont isolés les uns des autres pour éviter les contacts trop fréquents entre les aliénées dont les symptômes respectifs pouvaient parfois donner lieu à des incidents ».

Créé en 1890, on prévoit environ 600 lits dans cet asile qui n’accueillera que des femmes. Les malades seront réparties suivant leurs pathologies qui vont de « paisibles » à « agitées » sans oublier les « furieuses » et les « méchantes ».

Attentif au bien-être des malades, l’architecte va favoriser des décorations simples, car trop d’exubérance pourrait avoir un effet néfaste sur les aliénées en attisant des fantasmes, en éveillant des désirs profonds.

 

De la patience

Francis Baudy, amoureux de son quartier et de l’histoire, a recueilli des souvenirs d’anciens membres du personnel. On peut y lire :

« Le matin, on préparait les médicaments et on faisait les soins. À midi, on faisait manger les malades qui n’étaient pas autonomes puis on lavait la vaisselle avec l’aide de certaines malades »

Ou encore : « Au pavillon des agitées, il fallait parfois se mettre à trois pour maîtriser une malade, l’attacher et lui faire une piqûre. Parfois, on faisait appel à du personnel d’un pavillon voisin ». L’agressivité pouvait s’exprimer et des violences survenir.

 

Une infirmière précise qu’une activité de couture a été proposée et que les malades étaient satisfaites d’avoir une occupation. Elle concède aussi qu’il lui a fallu faire preuve de beaucoup de patience. 

Château Picon, actuellement Centre hospitalier Charles Perrens- Photo D. Sherwin-White

Témoin de son temps

À l’origine, existait sur le terrain un château où vivaient les anciens propriétaires. Préservé pour y installer un pensionnat, il fut aménagé pour recevoir des aliénées appartenant à des milieux très aisés. L’attention portée à son installation le rendait agréable avec des appartements particuliers, installés avec tout le confort désiré et agrémentés de meubles personnels.

Tout n'avait pas été parfait à la création de l'asile : on limita à huit sur douze le nombre de pavillons du fait du retard du chantier et du dépassement du budget. Mais pour faire face à un risque de surpopulation, on devra en bâtir des nouveaux.

L’œuvre d’Henri Taguet et de Jean-Jacques Valleton est toujours présente, témoin de son temps et de leurs idées, utopie généreuse des aliénistes mais les bouleversements de la psychiatrie vont remettre en cause les anciennes théories et pratiques.

 

En 1972, l’hôpital Château-Picon devient mixte et en 1974, prend le nom de Centre hospitalier Charles Perrens pour rendre hommage à son ancien médecin-chef.