On l'appelait le beffroi

Le nouveau quartier Amédée Saint-Germain a fêté la restauration de l'ancien château d'eau de la gare Saint-Jean, rare vestige du passé ferroviaire de Bordeaux.

 

Par Marie Depecker et Tiana Ramarovahoaka- photos Marie Depecker

Danseurs, musiciens, joueurs d'échecs animent la soiée devant l'atelier des citernes

Mercredi 16 octobre 2024, 17 heures, sur la place des Citernes, une agitation ludique est palpable : arrivée de musiciens et danseurs, partie d’échecs et autres jeux de société géants, ateliers créatifs mêlant petits et grands, discussions autour d’une bière à la terrasse de l’Atelier, ou encore pour les âmes poétiques, lecture du poème de Nathalie Man, Nous serons infatigables, fixé en mosaïque sur un muret. On fête, dans le quartier Amédée Saint-Germain, la fin des six mois de restauration de l'ancien château d'eau de la gare Saint-Jean : les quatre citernes ont retrouvé leur place en haut des arches en pierre ainsi que leur couleur rouge d'origine, les échafaudages ont été démontés. Culminant à plus de vingt mètres du sol, elles sont superbes. Une petite foule se presse autour de l'estrade installée pour l'occasion. Des habitants d'ici mais aussi des quartiers voisins du Sacré-Cœur, de Belcier et des Bordelais curieux viennent se réjouir de la fin des travaux avec les responsables du chantier et les maires de Bordeaux et de Bègles, Pierre Hurmic et Clément Rossignol-Puech.

 

Pour les locomotives à vapeur

Le quartier Amédée Saint-Germain, situé entre un tissu d'échoppes traditionnelles et les voies ferrées, est en pleine métamorphose. La rue de la Gare, qui longe les bâtiments ferroviaires, prend le nom d'Amédée Saint-Germain en 1925 en hommage au cheminot du même nom (1855-1920), un des fondateurs du socialisme ouvrier à Bordeaux, syndicaliste et adjoint au maire de Bordeaux dans les années 1900.

Mais pourquoi un château d'eau près de la gare ? Édifice construit entre 1854 et 1857, il servait à l'alimentation en eau des locomotives à vapeur et des ateliers d'entretien, puis a fourni une réserve pour les pompiers. Si, aujourd'hui, il est rebaptisé « Les Citernes », les cheminots l'appelaient plutôt le beffroi. Il était à l'abandon, envahi d'herbes, taggué depuis la fermeture du site ferroviaire en 1994, au milieu d'une friche industrielle appartenant encore à la SNCF. Quel avenir pour ce quartier ?

Mathilde Diaz, directrice de la communication à Bordeaux Euratlantique, nous l'explique :

« En 2010, un nouveau quartier est délimité le long des voies ferrées, il est intégré à la ZAC1 de 144 hectares créée par Bordeaux Euratlantique pour faire face au développement économique engendré par la LGV Paris-Bordeaux. Le projet de renouvellement urbain est piloté par un EPA2 qui achète les friches ferroviaires à la SNCF. »

 

Arches en pierre

Certains s'alarment à ce moment-là : vont-ils détruire le château d'eau ?

Mais dès 2016, il apparait sur les dessins de l'agence d'architectes LAM choisie par l'EPA pour initier le nouveau quartier Amédée. Elle conçoit son projet immobilier en préservant le patrimoine industriel : l'atelier des forges, la cantine des cheminots... et le château d'eau. Autour de lui, sont construits des immeubles modernes, à l'architecture épurée, en béton mais aux façades blondes comme les pierres bordelaises. Et toutes les nouvelles rues évoquent le passé : rue de la Compagnie du Midi, promenade des Cheminots, rue des Ateliers.

La restauration du château d'eau, inscrit à l'inventaire des Monuments historiques en 2018, est confiée en 2022 à l'architecte du patrimoine Delphine Gramaglia qui aime « sa belle architecture, sa forme qui rappelle celle d'un aqueduc avec ses quatre arches en pierre de taille ».

 

Entièrement piéton

Désormais, c'est autour de ce monument emblématique que la vie va s'organiser avec une mixité des fonctions, souhaitée par les responsables : logements pour 1 400 habitants, activités économiques et commerciales, services de santé avec une pharmacie et un cabinet médical, loisirs, une halle avec des restaurants dans un ancien atelier...

Les surfaces commerciales sont vendues par l'EPA à une seule entité, l'agence foncière et immobilière Ville Envie, chargée du choix des services et des commerces de proximité. Déjà ouverts : un boulanger, une fromagerie, une supérette, une épicerie bio et peut-être bientôt un boucher. Sur la place, s'installe tous les vendredis un marché de producteurs locaux.

Le quartier est entièrement piéton, accessible par deux grands escaliers. Le désenclavement est assuré grâce au nouveau pont de la Palombe qui le connecte au quartier Armagnac et un cheminement piétonnier est en négociation avec la SNCF pour rejoindre la gare.

 

« Arborés et pas armés »

Dans la foule des curieux assistant à l’inauguration, certains habitants se distinguent des autres, en brandissant, l’air tranquille, des petits arbres verts en carton. « Arborés et pas armés » en rira joyeusement l’un d’eux. Nous croisons Aude, membre du Collectif Sacré-Cœur-Amédée Saint-Germain3 depuis ses débuts en 2020 et habitante du quartier du Sacré-Cœur. Elle explique : « Le groupement, dont le cœur des doléances a trait à la bétonisation de la ville, est principalement issu du vieux quartier des échoppes. On a l’atout d’être investi par des gens compétents : juristes, naturalistes, urbanistes. » Elle rapporte leurs vœux : « un horizon et un ciel dégagés versus des rues ombragées par les édifices, la conservation d’espèces protégées, chauve-souris, geckos, hirondelles. » André, un porte-parole du collectif avance que « face à un problème de fond, des solutions sont possibles ». Devraient être privilégiées « la rénovation et la réhabilitation de logements non vacants, la surélévation de bâtiments existants, de la construction sèche et légère en bois pour un bilan bas carbone et la conservation de la grande halle, patrimoine également ».

Récemment, un pique-nique invitait à rapprocher et sensibiliser les habitants des deux quartiers au principal enjeu : « Dînons ensemble pour un parc de deux hectares ». « En pleine terre », insiste l’habitante.

Certes, les espaces verts ne sont pas absents, allées végétalisées, jardin des résidences, plantation de près de 200 arbres. Ce n'est pas suffisant, disent ces habitants qui souhaiteraient que la partie sud du quartier permette la réalisation d'un vrai parc d'un seul tenant de deux hectares. Toutefois, le travail effectué a permis de faire « la moitié du chemin », se félicite le porte-parole du collectif : un parc d’1,2 ha est désormais inclus dans le projet.

La fête se poursuit : on dévoile les six panneaux sérigraphiés en lave réalisés par l'architecte du patrimoine Delphine Gramaglia avec les élèves du collège Ars-Belcier qui racontent l'histoire du site et des citernes. 19 heures, en suspension dans les airs, c’est vêtu de blanc que le duo de la compagnie Tango Nomade se livre à une danse verticale le long de la tour de l’hôtel Jost. Le maire de Bordeaux, celui de Bègles et le directeur de Ville envie se réjouissent devant la réhabilitation de ce quartier "pas comme les autres" dixit Pierre Hurmic. Ils souhaitent que désormais la vie du quartier ressemble à celle d'un village avec au centre non pas l'église mais le vieux château d'eau restauré.

 

1  ZAC : Zone d'aménagement concerté

2 EPA : Établissement public d'aménagement3

https://www.facebook.com/CollectifAmedeeSacreCoeur

 

 

Le collectif Sacré-Coeur-Amédée saint-Germain demande moins de béton et plus de vert

Le pont de la Palombe relie le quartier Amédée Saint-Germain à celui d'Armagnac