Tempo jazz à Descas
À Bordeaux, un bâtiment néobaroque de la fin du XIXe siècle, resté fermé pendant dix-sept ans, reprend vie grâce au jazz.
par Nicole Landré


En passant devant le 5 quai de Paludate à Bordeaux, le piéton est intrigué par cette immense bâtisse à l’allure austère qu’est le Château Descas. Après plusieurs années de travaux d’envergure, la partie centrale du bâtiment est à nouveau accessible au public. Jean-Jacques Quesada, bien connu des amateurs de jazz girondins, grâce à son festival estival Jazz and Wine lancé en 2006, a été l’un des acteurs de ce projet. Il précise : « Depuis quelques années, j’avais dans l’idée de faire un club de jazz à Bordeaux mais décliné plusieurs propositions qui ne semblaient pas viables. Celle de Descas tenait la route et faisait le lien en s’associant avec la marque Jazz and Wine. » En effet, une crise profonde dans le milieu des vignobles bordelais les a conduits à se désengager de l’édition 2024 de son festival en attendant des moments plus favorables pour le relancer.

Une salle de 600 places
C’est soir de concert au Château Théâtre Descas. L’entrée s’effectue par la porte centrale, dans le hall, moquette rouge épaisse et lustre en cristal plantent le décor. Sur la droite, un bar à l’atmosphère chaleureuse permet aux spectateurs de prendre un verre et grignoter avant et après le concert. L’escalier, décoré de photos de jazzmen, conduit à la superbe salle de 600 places à l’acoustique parfaite dont les fauteuils rouges placés en quinconce assurent un bon confort visuel. La scène est de belle taille mais suffisamment intime pour créer une ambiance de club de jazz new yorkais. Le public est là et le concert peut commencer. À l’affiche ce soir, le saxophoniste Immanuel Wilkins et son quartet. Acclamé par la critique dans le monde du jazz contemporain, il est reconnu comme le talent le plus prometteur de sa génération par le magazine américain Downbeat et sort son prochain disque sous le fameux label Blue Note.

New York is Now
Sous l’intitulé Jazz à Descas, une programmation mensuelle est prévue jusqu’en mai 2025. Pour les trois premiers concerts, Jean-Jacques Quesada explique : « Je voulais que le public bordelais découvre New York is Now, c’est à dire la jeune génération afro-américaine du jazz new yorkais issue du mouvement Black Lives Matter de 2020. » Il ajoute : « Ce courant entraîne une dynamique forte qui doit redonner une dimension sociale et politique à cette musique qui l’est fondamentalement dans son ADN ». Le 5 septembre dernier, le premier concert a accueilli le trompettiste Ambrose Akinmusire dont le jeu reflète la tradition des grands du jazz comme Miles Davis mais sa musique innovante lui a aussi permis de collaborer avec le célèbre rappeur Kendrick Lamar qui parle aux nouvelles générations.
Aucune subvention
En novembre, le saxophoniste James Brandon Lewis, adoubé par le légendaire Sonny Rollins qui le considère comme son digne héritier viendra présenter son projet For Mahalia with love, un bel hommage à la chanteuse de gospel Mahalia Jackson. Jean-Jacques Quesada ajoute : « L’année se terminera par un pas de côté dans la programmation de Jazz à Descas avec le contrebassiste Riccardo del Fra qui accompagnait le trompettiste Chet Baker dans les années 1980. » Un point sera fait fin décembre pour quelques réajustements en termes de communication, d’accueil et d’échange avec les musiciens après le concert. Il y a un bon retour du public après les premières représentations car le taux d’occupation est excellent et un lien s’établit déjà avec les spectateurs. Les tarifs, de 45 à 55 euros sont dans une fourchette de prix entre ceux du Rocher de Palmer et ceux de l'Auditorium mais Jean-Jacques Quesada insiste bien sur le fait qu’il ne demande aucune subvention.
Musique de la liberté
Un partenariat intelligent s’est établi avec le Conservatoire de Bordeaux. Des élèves de la classe de jazz ont pu assister aux « balances » d’Immanuel Wilkins puis à son concert avec un tarif préférentiel. Ils pourront renouveler cette expérience tous les mois. Jean-Jacques Quesada indique : « Cette jeune génération, c'est la possibilité d’un nouveau public, il y a une notion de transmission très forte car le jazz n’est pas un courant qui s’inscrit dans les médias d’aujourd’hui et pourtant c’est la musique de la liberté. »
Le jazz est un tremplin pour faire renaître le Château Descas et lancer d'autres activités culturelles comme la danse, le théâtre, des spectacles immersifs. L’important, c’est de garder le tempo.