Vieillir en coloc
À l’heure où fleurissent les critiques sur l’hébergement en résidence seniors, la colocation est-elle une des solutions à retenir ?
Par Bernard Diot, photos A. Clauzel

Grâce aux séniors qui l'habitent désormais, cet ancien couvent libournais a retrouvé vie

Les colocataires entourés du personnel, d'Anne Clauzel (au premier plan) et de Jacques Clauzel(au fond à gauche)
À Libourne, le domaine Monrepos est niché au cœur d’un parc de plus de deux hectares. Anne Clauzel et son frère Jacques Cardon ont transformé cet ancien couvent en lieu d’accueil intergénérationnel. Le projet consiste à offrir à leurs résidents une vie de château. Il y a non seulement huit personnes âgées en colocation mais également des étudiants et de jeunes travailleurs en alternance. Trois appartements dont un de plain-pied de type T3 complètent l’ensemble. À l’entrée du parc, Geneviève, une résidente, nous conduit jusqu’à la maîtresse de maison.
Rompre la solitude
« C’est la vie de château, alors ?» Anne rebondit sur l'expression et explique ce qu’elle signifie pour elle.
« La vie de château, c’est trouver un équilibre dans un lieu sécurisé. Il faut savoir prendre soin les uns des autres. L’important ce sont les liens qui se créent au quotidien. Ce mode d’hébergement se caractérise par l’implication de tous les intervenants. Il permet de rompre la solitude. Tous ont des joies et des peines, nous les vivons ensemble. Ce partage crée du lien et nous créons une petite famille recomposée. »
« Une boucle WhatsApp permet à tout le monde de participer et chacun peut poster des photos des différents événements familiaux. Finalement ils forment une grande famille. »
Des arbres centenaires
La visite commence par l’exploration des abords de la demeure où des platanes centenaires viennent ombrager des cheminements organisés pour faciliter la promenade des locataires. Dans un coin, un jardin potager participatif en permaculture permet, à ceux qui le souhaitent, de faire un peu de jardinage. Un peu plus loin, un poulailler attend de nouveaux pensionnaires, un goupil s’étant occupé des précédents. Il y a même une piscine. « Aux beaux jours, confie Anne, Françoise, une colocataire, en profite tous les jours, les plus jeunes également, mais les personnes plus âgées n’ont pas cette culture. Cela ne les empêche pas de profiter de l’animation. » Jacques rejoint sa sœur et fait les honneurs de la maison.

Présence quotidienne
Une vaste terrasse donne sur un intérieur clair et chaleureux composé d’un vaste salon et d’une cuisine ouverte. Les repas sont faits maison. Jacques effectue les courses deux fois par semaine. Valérie cuisine également sur le même rythme. Les locataires peuvent inscrire au menu des plats qu’ils souhaitent voir proposés.
Un deuxième salon est consacré aux activités pratiquées par les résidents : jeux de cartes, scrabble, tricot. Une petite bibliothèque est alimentée par la fille de Suzanne qui est libraire à Paris. Il y a même un vélo d’appartement pour ceux qui veulent se dégourdir les jambes. Une télévision est présente mais Anne explique que « compte tenu des problèmes d’audition rencontrés, les résidents préfèrent la regarder dans leur chambre à l’étage ».
Anne et Jacques, qui habitent également dans le bâtiment, assurent une présence quotidienne. L’utilisation des prénoms dans la conversation de tous les jours ajoute une note de proximité. Le repas est prêt. Dans l’attente qu’il soit servi, Jacques nous communique des informations sur leur mode de fonctionnement.
Chez eux
Créée il y a quatre ans, par Jacques et Anne, leur société a obtenu l'agrément pour fournir une prestation de service à domicile qui comporte : le service de blanchisserie (vêtements et linge de maison), les repas y compris les courses et le ménage. Le montant de la location de la chambre et des prestations (les colocataires signent un bail) s’élève à un peu plus de 1 900 euros par mois dont 900 font l’objet d’un crédit d’impôt de 50 %.
La structure n’est pas médicalisée, les locataires sont chez eux. Dans ce cadre, aucun service infirmier, d'aide à domicile ou de kinésithérapie etc. n’est assuré. « Nous ne nous substituons pas aux familles nous précise Jacques. Ce sont elles qui mettent en place ces prestations en cas de besoin. Il est important que chacun reste dans son rôle. Par exemple, dans le cadre de l'agrément, il n’est pas possible d’aider les gens pour leur toilette ou pour les habiller. Il n’est pas possible non plus de donner des médicaments ou de préparer le pilulier. Deux infirmières passent tous les jours pour remplir cette tâche. » Jacques rajoute : « Nous n’intervenons immédiatement qu’en cas de mise en danger. Mais nous pouvons aider ponctuellement en cas de besoin pour un appui technique au quotidien comme effectuer de petits bricolages, apporter une aide à la gestion de papiers administratifs, régler un petit problème informatique voire un peu de jardinage. »
Une solution qui attire
Les journées s’écoulent sur un rythme quasi immuable. Les repas sont partagés ensemble, sauf le petit déjeuner qui se prend en autonomie. Chacun vient à son heure comme Victor qui arrive à 6 h 30 ou Éliane et Paulette qui viennent vers 9 heures. La suite de la matinée est consacrée aux toilettes et à l'habillement. Deux jours par semaine, quand Valérie prépare les repas, il est proposé aux volontaires d’aider à cette préparation qui devient un autre moment d’échanges.

Les résidents déjeunent ensemble généralement dehors, sur la terrasse en été
Tout le monde se retrouve à midi pour le repas. L’été, il est pris dehors. À l’occasion, des membres de la famille des locataires viennent manger. « Nous avons eu la fille de Victor qui a enchanté les agapes avec des anecdotes sur l’Australie où elle vit. Une autre fois, des amis de Pierre ont préparé une choucroute. » Ensuite, chacun se retire dans sa chambre pour une petite sieste. Vers 16 heures, retour des hôtes pour un après-midi de jeux : belote et scrabble surtout. Éliane tricote en regardant les joueurs et Angèle monte sur le vélo pour quelques tours de pédale. Jacques confirme : « Contrairement à ce que l’on peut s’imaginer, ils n’ont pas autant besoin d’animations comme il y a dans les résidences seniors auxquelles, finalement, personne ne participe. Nous avons essayé d’organiser des soirées mais elles n’ont pas rencontré le succès espéré. » Il est possible d'aller dans Libourne pour ceux qui le désirent. En effet il existe un service appelé Calibus qui vient vous chercher et vous ramène pour la somme de 4 €.
La journée se termine par le dîner pris à 19 heures. Pour ceux qui le veulent, la soirée se poursuit au salon par un moment d’échange.
Ce mode d’accueil a été mis en lumière au cours d’un journal de France 2. Anne et Jacques ont été sollicités à tellement de reprises qu’ils ont organisé un webinaire1 avec trente cinq participants. Celui-ci leur a permis de présenter la méthodologie à suivre pour créer un tel établissement. Cette solution attire beaucoup, mais il faut être conscient que ce modèle repose sur la forte implication des créateurs. Il est très chronophage et peut induire une lassitude préjudiciable à ce modèle de vie de château.
1 webinaire : événement interactif en direct que les participants rejoignent en se connectant via internet depuis un ordinateur.

Des liens se tissent grâce aux activités en aidant à la cuisinière Valérie à la préparation des repas