Vignes au féminin

Depuis cinq générations, le domaine du château Doms à Portets est géré par une même lignée, exclusivement féminine.

 

 Sylvie Lacombe, texte et photos

Un grand portail, une esplanade végétalisée et une magnifique chartreuse dessinent, dès l’entrée, le décor du domaine de Doms à Portets. À la tête du château depuis 10 ans, Amélie Durand, 34 ans, ingénieure agronome et œnologue, a pris en main cette propriété, assistée de sa mère, ancienne pharmacienne, qui en est la gérante.

Avant elles, des femmes passionnées, filles uniques, ont toutes un jour repris les rênes pour pérenniser ce vignoble, situé sur le terroir des vins de Graves, célèbre dans le monde entier.

 

L’Observatoire : Que pouvez-vous dire pour présenter votre domaine ?

— Amélie Durand : La chartreuse date du XVIIe siècle ; le bâtiment sur la gauche en entrant était une partie d’un monastère converti en chai au XVIIIe siècle. Cette bâtisse abrite encore aujourd’hui les chais d’élevage et les chais à barriques. Leurs murs très épais confèrent à ces pièces une température et une hygrométrie naturelles quasiment constantes. En 1995, un projet d’agrandissement a été entrepris, un nouveau chai de vinification et une salle de stockage des bouteilles ont été construits.

La superficie de notre vignoble est de vingt-cinq hectares, vingt hectares en rouge et cinq en blanc. Nous produisons 160 000 bouteilles par an. Nos cépages sont le cabernet Sauvignon et le Merlot pour les vins rouges et le Sauvignon et le Sémillon pour les vins bancs. L’âge moyen de nos ceps de vignes est de 45 ans pour les rouges, 35 ans pour les blancs.

 

— Vous mettez en avant le fait d’élaborer un vin féminin, comment le définissez -vous ?

C’est un vin plutôt axé sur la gourmandise, il est plus soyeux qu’un vin charnu. Il comporte plus de merlot que de cabernet, il est plus sucré ce qui plait aux femmes et aux jeunes adultes.

Pour arriver à ce résultat, par exemple, nous reculons la date des vendanges au maximum pour assurer un vin plus ouvert, c’est à dire avec des arômes de fruits mûrs, un vin épicé, moins âpre au goût. Cela peut présenter des risques par rapport à la météo et rendement. J’ai eu des discussions vives à ce sujet avec mon grand-père au début de ma carrière.

 

—Comment élaborez-vous vos vins ?

Nous travaillons selon les techniques traditionnelles de vinification, avec quelques nouveautés comme la macération à froid, la fermentation à température contrôlée. Nous avons obtenu la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) car nous sommes sensibles à la préservation de la biodiversité. La protection de l’environnement en général et des riverains en particulier est une vraie préoccupation pour nous. Nous avons planté des engrais verts et des céréales qui boostent la vigne par la production d’azote, essentielle à la croissance des plantes. Nos piquets à vigne sont en bois et non en fer. Nos vendanges sont effectuées mécaniquement pour nos vignes rouges et mécaniquement ou manuellement pour les vignes blanches selon les années.

Chaque génération a su apporter et continue d’apporter des innovations techniques (thermo régulation des cuves inox, pressoir à membranes)

 

Dans le monde du vin encore essentiellement masculin, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?

Oui, j’ai rencontré un problème de crédibilité auprès des équipes, à la vigne. Ce sont tous des prestataires extérieurs, c’est notre choix, et il faut s’imposer à chaque intervention. Pour la commercialisation, c’est plutôt un atout, les contacts se font très facilement.

 

— Que ressentez-vous après 10 ans à la tête de la propriété ?

L’engagement sur le domaine, c’est beaucoup de travail. Je suis à la fois à la production, à la maintenance, aux achats, à la commercialisation, à la comptabilité et au management. Depuis quelques temps, j’arrive à décrocher et prendre du temps pour moi.

 

— Comment vivez-vous la crise viticole ?

 

On ne peut pas y faire grand-chose. Des vignes sont abandonnées, arrachées, les faillites augmentent, on se demande quand sera notre tour. Nous avons la chance d’avoir une clientèle de particuliers fidèles, de restaurants et cavistes et seulement 20 % de notre production part à l’export vers les États Unis, la Belgique et Allemagne.